"Je me demande si via votre prix, il ne faudrait pas mettre en avant les équipes plutôt qu'uniquement les spécialistes", nous a conseillé avec humilité le Pr Laureys lorsqu'on lui a annoncé sa nomination au Prix du spécialiste de l'année. "Notre travail est avant tout le projet d'une équipe qui prend en charge des patients ayant de très graves blessures au cerveau. Nous essayons de traduire les connaissances scientifiques vers la clinique. Le défi est grand: comprendre la conscience humaine, tout en gardant une approche empreinte d'humanité. Il est important de pouvoir disposer d'outils technologiques de pointe - dont nous disposons au CHU de Liège - mais nous ne devons pas limiter notre travail à une seule approche technique. Il y a un risque de perdre l'humain en pratiquant une médecine hyperspécialisée et hyper-administrative. Nous ne pouvons pas devenir des cliniciens-robots face aux véritables drames que vivent ces patients et leurs proches".

Un vulgarisateur

La notoriété du Pr Laureys dépasse largement les frontières de notre petit pays. De nombreux articles de presse lui ont été consacrés dans des médias prestigieux. "Ce n'est pas toujours facile d'utiliser les médias", commente Steven Laureys, "qui doivent aussi se distinguer pour mieux se vendre. Ils sont à la recherche du sensationnel. Même dans la littérature scientifique, il y a une simplification d'une réalité nettement plus complexe et nuancée. Mais j'estime que le scientifique doit sortir de sa tour d'ivoire. Les politiciens ne lisent pas les journaux spécialisés. Pour les convaincre, il faut parfois être publié dans la presse générale." Le neurologue a également écrit un livre, Un si brillant cerveau (1), avec l'objectif de vulgariser ses recherches. "Il est nécessaire d'expliquer comment le cerveau fonctionne. Sans arrogance. Il y a encore énormément d'inconnues. J'espère que nos publications peuvent inspirer des jeunes gens."

Steven Laureys ne cache pas sa fierté d'avoir, avec son équipe, contribué à briser le tabou qui entourait le coma et l'(in)conscience. "Les hôpitaux et les centres qui s'intéressent à cette problématique sont plus nombreux que par le passé. Avant, la recherche sur le coma était un peu comateuse. Ce n'est plus le cas. Nous continuons à nous battre contre l'étiquette 'végétatif ' que l'on accole encore au patient survivant d'un coma. Dans ma discipline, mes confrères avaient à une époque une sorte de 'nihilisme thérapeutique' en pensant qu'ils ne pouvaient plus rien faire pour ces patients. Il faut éviter de donner de 'faux espoirs' aux familles mais aussi de 'faux désespoirs' aux confrères. Grâce à nos études et aux mesures réalisées, nous avons montré que nous pouvons réduire l'incertitude sur le diagnostic et le pronostic de la maladie, ainsi que de proposer des nouvelles approches thérapeutiques. Il est nécessaire aussi de soutenir un véritable débat éthique et social - qui n'est pas limité aux médecins - sur la fin de vie et la qualité de vie. Nous essayons là aussi, au travers des publications scientifiques et des médias grand public, de sensibiliser nos concitoyens à la réflexion individuelle."

Le Pr Laureys est conscient du travail de conviction qu'il doit encore accomplir. "J'éprouve encore beaucoup de difficultés à convaincre de jeunes neurologues et neurochirurgiens, spécialistes en soins intensifs, radiologues... à s'intéresser à cette problématique parce que les patients sévèrement cérébrolésés ne sont pas collaboratifs, sont peu mobiles, qu'ils prennent du temps... Le médecin doit aussi accepter qu'il ne pourra pas, dans de nombreux cas, les guérir."

Source d'inspiration

Le Pr Laureys considère le Prix Francqui - qu'il a reçu en 2017 pour la qualité des travaux de son équipe du Coma Science group au sein du GIGA Consciousness - comme un signe d'encouragement. "Le jury du Prix Francqui a posé un choix qui n'était pas évident. Il récompense un travail d'une équipe jeune et dynamique. Nous avons besoin de toutes les spécialités pour obtenir de bons résultats. J'espère que ce Prix Francqui va être une source d'inspiration pour les jeunes confrères qui le verront comme une invitation à découvrir toutes les facettes de notre activité et la recherche clinique translationnelle en générale."

Vincent Claes

1. Un si brillant cerveau, les états limites de conscience, Steven Laureys, Odile Jacob.

"Je me demande si via votre prix, il ne faudrait pas mettre en avant les équipes plutôt qu'uniquement les spécialistes", nous a conseillé avec humilité le Pr Laureys lorsqu'on lui a annoncé sa nomination au Prix du spécialiste de l'année. "Notre travail est avant tout le projet d'une équipe qui prend en charge des patients ayant de très graves blessures au cerveau. Nous essayons de traduire les connaissances scientifiques vers la clinique. Le défi est grand: comprendre la conscience humaine, tout en gardant une approche empreinte d'humanité. Il est important de pouvoir disposer d'outils technologiques de pointe - dont nous disposons au CHU de Liège - mais nous ne devons pas limiter notre travail à une seule approche technique. Il y a un risque de perdre l'humain en pratiquant une médecine hyperspécialisée et hyper-administrative. Nous ne pouvons pas devenir des cliniciens-robots face aux véritables drames que vivent ces patients et leurs proches".La notoriété du Pr Laureys dépasse largement les frontières de notre petit pays. De nombreux articles de presse lui ont été consacrés dans des médias prestigieux. "Ce n'est pas toujours facile d'utiliser les médias", commente Steven Laureys, "qui doivent aussi se distinguer pour mieux se vendre. Ils sont à la recherche du sensationnel. Même dans la littérature scientifique, il y a une simplification d'une réalité nettement plus complexe et nuancée. Mais j'estime que le scientifique doit sortir de sa tour d'ivoire. Les politiciens ne lisent pas les journaux spécialisés. Pour les convaincre, il faut parfois être publié dans la presse générale." Le neurologue a également écrit un livre, Un si brillant cerveau (1), avec l'objectif de vulgariser ses recherches. "Il est nécessaire d'expliquer comment le cerveau fonctionne. Sans arrogance. Il y a encore énormément d'inconnues. J'espère que nos publications peuvent inspirer des jeunes gens."Steven Laureys ne cache pas sa fierté d'avoir, avec son équipe, contribué à briser le tabou qui entourait le coma et l'(in)conscience. "Les hôpitaux et les centres qui s'intéressent à cette problématique sont plus nombreux que par le passé. Avant, la recherche sur le coma était un peu comateuse. Ce n'est plus le cas. Nous continuons à nous battre contre l'étiquette 'végétatif ' que l'on accole encore au patient survivant d'un coma. Dans ma discipline, mes confrères avaient à une époque une sorte de 'nihilisme thérapeutique' en pensant qu'ils ne pouvaient plus rien faire pour ces patients. Il faut éviter de donner de 'faux espoirs' aux familles mais aussi de 'faux désespoirs' aux confrères. Grâce à nos études et aux mesures réalisées, nous avons montré que nous pouvons réduire l'incertitude sur le diagnostic et le pronostic de la maladie, ainsi que de proposer des nouvelles approches thérapeutiques. Il est nécessaire aussi de soutenir un véritable débat éthique et social - qui n'est pas limité aux médecins - sur la fin de vie et la qualité de vie. Nous essayons là aussi, au travers des publications scientifiques et des médias grand public, de sensibiliser nos concitoyens à la réflexion individuelle."Le Pr Laureys est conscient du travail de conviction qu'il doit encore accomplir. "J'éprouve encore beaucoup de difficultés à convaincre de jeunes neurologues et neurochirurgiens, spécialistes en soins intensifs, radiologues... à s'intéresser à cette problématique parce que les patients sévèrement cérébrolésés ne sont pas collaboratifs, sont peu mobiles, qu'ils prennent du temps... Le médecin doit aussi accepter qu'il ne pourra pas, dans de nombreux cas, les guérir."Le Pr Laureys considère le Prix Francqui - qu'il a reçu en 2017 pour la qualité des travaux de son équipe du Coma Science group au sein du GIGA Consciousness - comme un signe d'encouragement. "Le jury du Prix Francqui a posé un choix qui n'était pas évident. Il récompense un travail d'une équipe jeune et dynamique. Nous avons besoin de toutes les spécialités pour obtenir de bons résultats. J'espère que ce Prix Francqui va être une source d'inspiration pour les jeunes confrères qui le verront comme une invitation à découvrir toutes les facettes de notre activité et la recherche clinique translationnelle en générale." Vincent Claes1. Un si brillant cerveau, les états limites de conscience, Steven Laureys, Odile Jacob.