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En 2007 déjà, le CIO avait publié une déclaration de consensus, où l'on pouvait lire : " Le harcèlement et les abus sexuels ont lieu dans tous les sports et à tous les niveaux. " Et deux ans plus tard, une enquête commanditée par le Ministère (français) des Sports aboutissait à la conclusion que 11,2% des athlètes étaient exposés aux violences sexuelles, alors que dans la population générale, le chiffre était estimé à 6,6 %, soit environ deux fois moins.En avril dernier, le journal Le Monde rapportait les paroles de Guy Missoum, psychologue clinicien, chercheur à l'Université Paris-Nanterre et ancien directeur du Laboratoire de psychologie du sport à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). Selon lui, le sport constitue un terrain très propice aux affaires de viols ou d'agressions sexuelles, d'autant que la parole s'y libère très difficilement. Et pour cause ! La plupart du temps, les athlètes qui parlent perdent le soutien de leur fédération." Les fédérations couvrent les méfaits de leurs athlètes et de leurs entraîneurs même s'ils se sont rendus coupables des pires saloperies ", affirme le Dr de Mondenard, médecin du sport et auteur de nombreux livres sur les aspects médicaux du cyclisme ainsi que sur le dopage dans différentes disciplines. Aussi les victimes sont-elles le plus souvent contraintes au mutisme, dans la mesure où leurs objectifs en termes de performances et de carrière l'emportent généralement sur toute autre considération.Guy Missoum parle à ce propos de la stratégie du " switch ", grâce à laquelle l'athlète victime de violences sexuelles cloisonne sa vie, refoule certains vécus traumatisants pour ne pas compromettre son ambition sportive. En octobre 2017, l'ancienne gymnase américaine McKayla Maroney, aujourd'hui âgée de 22 ans seulement, porta plainte pour agressions sexuelles contre Larry Nassar, médecin de l'équipe américaine. Ce dernier, qui aurait abusé d'au moins 265 jeunes femmes, souvent mineures, fut condamné à une peine de 175 ans de prison. Quand elle évoque les années au cours desquelles il la violait, l'ex-championne indique que son rêve était d'aller aux Jeux Olympiques et que pour y parvenir elle a dû endurer des choses " inutiles et répugnantes ". Elle déclare par ailleurs que la fédération américaine de gymnastique a tenté d'acheter son silence.Lorsque des athlètes révèlent les faits de harcèlement ou d'agressions sexuels dont elles ont été victimes, c'est habituellement après leur carrière. Il y a cependant des exceptions. Comme la lanceuse de marteau Catherine Moyon de Baecque, qui fut violée par quatre athlètes de l'équipe de France lors d'un stage d'athlétisme en 1991. Ainsi que le rappelle le Dr de Mondenard, elle fut exclue par la fédération après avoir brisé l'omerta et s'en être remise à la justice. " C'est encore vrai aujourd'hui : quand une victime parle, on préfère couper la branche plutôt que de tenter de régler le problème à la base ", souligne le Dr Véronique Lebar, présidente de l'association Comité Éthique et Sport.Guy Missoum considère que dans la relation entraîneur-entraînée, la soumission à l'autorité est totalement acceptée et conscientisée par les sportives. Ce qui constitue un facteur de risque de violences sexuelles. Par ailleurs, il existe dans le sport une proximité physique entre l'athlète et son " mentor ". Elle se traduit notamment par des contacts corporels réguliers - prise du pouls, correction de la gestuelle, aide lors des étirements, etc. De surcroît, la proximité physique se double d'une proximité - voire d'une emprise - psychologique. Attention, danger ! D'autant que, comme l'indique Véronique Lebar, certaines jeunes filles sont loin de leur famille, assez seules et, par là même, plus fragiles et vulnérables.Le Dr de Mondenard insiste également sur d'autres facteurs. " Dans le sport d'aujourd'hui, les corps, de moins en moins vêtus, sont exposés aux regards. Par exemple, le football américain féminin se joue en " bikini ". " Les temps ont changé, effectivement. Fondateur des Jeux Olympiques modernes, le baron Pierre de Coubertin était hostile à la présence des femmes à ces grands-messes du sport. Il déclara même : " Une olympiade femelle [sic] serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. " Et quand les femmes participèrent pour la première fois aux JO, à Amsterdam en 1928, elles portaient des tenues qui n'avaient rien d'affriolant." D'autre part ", poursuit Jean-Pierre de Mondenard, " les corps des athlètes actuelles sont harmonieusement sculptés par la pratique sportive, alors qu'on pensait dans les années 1950, 60 et 70 que le sport virilisait les femmes. En fait, nombre d'entre elles, essentiellement issues des pays de l'Est, étaient sélectionnées pour leur profil hormonal très masculin et prenaient en sus des androgènes qui renforçaient leur masculinité. "Toujours selon notre interlocuteur, la condition physique des sportives laisse supposer qu'elles sont très performantes lors des rapports sexuels. En outre, il est connu que sportives et sportifs de haut niveau possèdent des taux de testostérone élevés, chacun pour son sexe, laissant augurer une forte libido. "Sans compter que des magazines comme Playboy ou des calendriers proposent des photos suggestives de sportives à la plastique irréprochable ", ajoute le médecin.À ses yeux, ces différents éléments, qui ont contribué depuis les années 1980 à une érotisation du sport, sont autant de facteurs de nature à susciter un intérêt sexuel particulier pour ces femmes.Mais si les sportives, et dans une moindre mesure les sportifs, constituent une population plus exposée que beaucoup d'autres au harcèlement et aux violences sexuels, le milieu du sport serait lui-même l'un des terreaux les plus fertiles pour produire des agresseurs. Malgré la loi du silence, un certain nombre d'affaires ont défrayé la chronique, notamment dans le monde du football, de la boxe, du rugby ou du basket américain. En l'absence de statistiques plus globales, les cas isolés ne prouvent évidemment rien. Par contre, la prise en considération de certaines données objectives incite à penser que les sportifs de haut niveau sont potentiellement plus à risque de commettre des agressions sexuelles que le commun des mortels.Le Pr Vito Accettura, décédé en 2005, avait mené une enquête auprès de 300 athlètes et de 300 non-sportifs italiens. Publiée en 1967, cette étude laissait apparaître un pourcentage relativement élevé de sujets hypersexuels parmi les sportifs, par comparaison avec les non-sportifs. Ainsi, le chiffre était de 27 % chez les boxeurs et de 20 % chez les footballeurs contre 6 % chez les sédentaires.On en revient à la testostérone dont un taux élevé a l'avantage, pour le sportif, de favoriser le développement de la masse musculaire et l'agressivité. Raison pour laquelle les champions se recrutent essentiellement parmi les individus qui en sécrètent beaucoup. À cela s'ajoutent les pratiques dopantes faisant appel à des apports de testostérone exogène ou de stéroïdes anabolisants. Avec pour conséquence, dans un premier temps, d'exacerber encore la libido.Le Dr de Mondenard relate le cas édifiant d'un culturiste qui, au début de ses cures de dopage aux anabolisants, avait jusqu'à treize rapports sexuels par jour, ce qui finit par sonner le glas de son couple. " Étant souvent d'anciens champions, les entraîneurs, eux aussi, possèdent généralement des taux de testostérone naturellement élevés ", précise le Dr de Mondenard.Le médecin français souligne en outre l'impact de " l'effet de meute " dans les sports collectifs. Un exemple : "Il y a une quarantaine d'années, dit-il, les joueurs d'une équipe de rugby sont descendus dans une boîte de nuit, en ont éjecté les hommes et ont violé les femmes. "Il ne fait pas de doute que d'autres facteurs, notamment d'ordre psychologique, tel un sentiment de supériorité lié à la notoriété sportive, favorisent la prédation sexuelle. Si le mur du silence, à peine fissuré, finissait par se briser, probablement se dévoileraient-ils au grand jour.