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Pour rappel, l'ADN d'un être humain constitue une chaîne d'environ 3 milliards de nucléotides. Ils forment les mots constituants les gènes. Nous en possédons plus de 20.000. A force d'être copiés, ils subissent des mutations portant soit une un seul nucléotide, sur un segment d'ADN ou un chromosome entier. Une seule variation peut provoquer une maladie dite alors monogénique. La plupart des maladies sont dues à plusieurs facteurs et dites polygéniques. Si (et seulement si) la variation est présente dans l'ovule ou le spermatozoïde, elle sera transmise à la génération suivante.Laborieux avant 2005, le séquençage du génome a connu des accélérations fulgurantes entre 2005 et 2010 grâce au haut débit (séquençage massif de milliers de fragments d'ADN en parallèle) permettant l'avènement en peu de temps et à coût modéré du séquençage complet du génome (Whole Genome Sequencing - WGS). Le premier WGS avait coûté un milliard de dollars sur 8 ans. En 2014, une firme a lancé un appareil promettant de le faire baisser à 1.000 dollars. Avantage du WGS : il augmente considérablement la puissance de diagnostic en n'éludant aucun gène possiblement atteint mais le revers de la médaille est qu'il génère des quantités astronomiques de données brutes débouchant sur de nombreux résultats non sollicités. Un défi pour l'organisation des soin en Belgique mais aussi pour le patient et le médecin : faut-il lui annoncer tout ce qu'on a découvert ? Pour une recherche plus ciblée, on préférera les fameux " kits " d'analyse.Le WGS sera à coup sûr utilisé pour le diagnostic de maladies héréditaires rares ou complexes, l'identification de maladies plus courantes telle l'épilepsie ou les retards intellectuels, en remplacement du test prénatal non-invasif (NIPT), le diagnostic préimplantatoire, le test du buvard, le carrier screening et la pharmacogénétique. Le WGS jouera également un grand rôle dans la médecine personnalisée. Pour les companion diagnostics (analyse de panels de gènes tumoraux), il faudra toutefois attendre que le WGS soit financièrement concurrentiel. A côté de la médecine personnalisée, notons que les tests génétiques sont de plus en plus demandés pour des maladies courantes (cardiovasculaires par exemple).Le KCE s'est toutefois limité à étudier les conséquences sur l'organisation des soins et de l'assurance maladie de l'introduction du WGS à l'attention des décideurs politiques. Ce dans une perspective courte (2018-2020). En plus de l'étude de la littérature, le KCE a interrogé 8 directeurs de centres belges de génétique humaine (CGH).Il en ressort qu'aujourd'hui, les analyses WGS sont utilisées principalement dans un cadre de recherche. Les CGH organisent des consultations en conseil génétique pour les patients. Ils se financent pour ce faire, via l'article 33 de la nomenclature qui contient six codes pour des analyses moléculaires complexes. Les tarifs de remboursement varient entre 365 et 1.400 euros. Une convention (article 22) avec l'Inami co-finance les CGH mais semble sous-utilisée vu sa complexité. Le budget total des CGH à cet égard se montait à environ 50 millions d'euros en 2016.A court terme, le KCE estime que le WGS se limitera au diagnostic des maladies héréditaires rares, à l'identification des composantes génétiques d'affections plus courantes et le diagnostic de certaines anomalies génétiques en pré ou néonatal. Le critère d'utilisation revient à poser la question suivante : le test va-t-il améliorer la santé du patient ? Ce serait à un comité multidisciplinaire d'experts (par exemple le Collège belge de génétique humaine et maladies rares) de discuter des indications pertinentes du WGS (étant entendu que des tests de ce type sont proposés par des firmes commerciales sans aucun encadrement sur internet).Reste ensuite à interpréter les résultats. Ce qui n'est pas une mince affaire. En effet, il existe des mutations ou variants non encore complétement élucidés, des résultats non sollicités (découvertes fortuites) et des résultats secondaires. L'ACMG (American College of Medical Genetics et Genomics) recommande d' " actionner " la recherche de ces résultats alors que l'European Society of Human Genetics préfère ne pas identifier des variants non liés au problème clinique qu'on investigue.Toutefois, on n'arrête pas le progrès. " L'introduction du WGS à grande échelle va accélérer la progression des connaissances ", estime le KCE. " Il est essentiel de constituer une base de données belge centralisée de tous les variants " des patients et de leur famille couplé à une protection hautement sécurisée des données. On démarrerait avec le Registre des maladies rares.Si la plupart des patients veulent " tout savoir ", il est nécessaire, avant toute analyse de ce type, d'obtenir le consentement éclairé du patient tant sur le principe que sur la transmission des résultats en tenant compte de l'implication pour la famille. Certains centres masquent d'ores et déjà les variants non recherchés." Les ressources humaines actuellement dévolues au conseil génétique ne sont pas suffisantes pour faire face à l'introduction du WGS. " Les capacités en bio-informatique (stockage et analyse des données génétiques) pas davantage. Le volume de données brutes en WGS peut en effet atteindre 500 Gb par échantillon. Aucun financement spécifique n'est prévu. Aucun consensus international n'existe quant à la conservation et l'analyse de ces données. Si le coût d'un séquençage complet avec analyse et stockage ne dépasse plus 5.500 dollars, le prix des appareils de séquençage varie entre 1 et 10 millions de dollars. Mais il faudrait évaluer l'ensemble des coûts générés ensuite par cette technique.Aux Pays-Bas, pays qui comprend 8 centres comme nous, le budget des analyses génétiques se monte à 140 millions d'euros (2014) mais le WGS n'y est pas utilisé en routine. La Grande-Bretagne s'est promise de séquencer 100.000 génomes de patients essentiellement cancéreux.Outre le besoins criant de former suffisamment de bio-informaticiens génétiques et de médecin spécialiste en génétique clinique, faut-il sous-traiter et/ou centraliser le WGS en Belgique ?" L'arrivée du WGS dans les soins de santé soulève des interrogations nombreuses et complexes ", répond le KCE. Le centre d'expertise recommande donc " d'avancer sur ce terrain avec la plus grande prudence, d'autant plus que les enjeux financiers et éthiques sont considérables. Un projet pilote permettrait d'aborder les problèmes un par un avec les acteurs concernés, de tester - et de chiffrer ! - différentes solutions avant de prendre les décisions définitives qui engageront notre pays sur la voie de cette technologie résolument futuriste. "Une prudence de Sioux bien européenne alors que USA et Chine avancent sans trop se poser de questions...