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Alimentées par le vaste marché des outils connectés, mais aussi par les données achetées aux institutions hospitalières comme l'ont révélé récemment divers organes de presse, d'énormes banques de données se constituent, modifiant fondamentalement la notion d'expertise médicale et la place laissée à diverses spécialités dans l'avenir (voir notre précédente tribune dans le JDM). Par ailleurs, en identifiant et chiffrant les risques dont le comportement, l'hérédité, les antécédents des patients sont porteurs elles créent des profils de probabilité pathologique qui se substituent progressivement à l'anamnèse et à l'examen clinique pour déterminer la vulnérabilité et l'assurabilité d'une personne. Un profil suicidaire a ainsi récemment été établi au départ de données anonymisées de réseaux sociaux, et des alertes proposées à des patients n'ayant jamais exprimé la moindre intention d'attenter à leurs jours. L'informatisation et la mise en ligne massive de nos fichiers médicaux en font une source de données convoitée pour la création de ces algorithmes et leur utilisation marchande par des tiers non-médecins. En sommes-nous suffisamment conscients, et les garde-fous nécessaires ont-ils été mis en place ?La création du réseau eHealth et la crainte de nombreux médecins " de ne pas en être " a favorisé l'éclosion de nouveaux logiciels médicaux hyper-connectés et performants, proposant des solutions informatiques clé-sur-porte d'utilisation immédiate, sonnant le glas de plusieurs programmes médicaux historiques rachetés progressivement en vue d'une mort programmée. Ce nettoyage du marché s'est accompagné d'une généralisation de la mise des données médicales dans le cloud(" dans le ciel ", expression poétique pour signifier " ailleurs que chez nous "), solution idéale pour les pratiques de groupe, partageant un fichier unique instantanément mis à jour. Ces données demeurent-elles accessibles en cas de non-paiement de la redevance annuelle pour leur maintenance? Un dossier papier se rangeait dans une armoire, dont nous conservions la clé en poche, mais nous avons perdu la clé du cloud. Qui de nous s'est donné la peine de lire le contrat nous liant à notre fournisseur de logiciel médical?La transmission du courrier médical électronique connaît une évolution comparable. L'utilisation du réseau eHealth, crypté et sécurisé, gratuit, se voit progressivement supplantée par une initiative privée, payante, efficace, présentée comme incontournable, issue de la fusion par rachats successifs des anciens réseaux de transmission de données médicales (Hector, Medibridge, Mexxi, MediMail). Situation de monopole inédite où un réseau subventionné par des fonds publics se voit utilisé par une firme commerciale pour taxer le courrier à l'entrée (l'expéditeur) et à la sortie (le destinataire). Tout ceci ne serait qu'anecdote si ne s'ouvrait par le biais de la franchisation du courrier médical une brèche dans la confiance accordée aux autres services gratuits sécurisés d'eHealth (MyCareNet, RecipE, eDMG, eForms, HandiCare, HealthData Trajets de soins, certificats Medex en ligne): à qui le tour dans un avenir proche ? Evoluera-t-on vers un tout payant repris par des firmes privées ? Qui assurera la confidentialité de ces multiples échanges ? Et la question qui tue : qu'en pense le patient, dont les données médicales en ligne racontent la vie?Dr Carl Vanwelde