Le 2 octobre dernier, le Dr Pierre Titeca et Louis De Page du Centre hospitalier Jean Titeca ont fait un compte-rendu du dernier congrès de l'IAFMHS ( International Association of Forensic Mental Health) qui s'est déroulé en juin (12 au 14) à Anvers.

Le Dr Pierre Titeca, psychiatre responsable de l'unité de soins HEGOA accueillant des patients internés et de l'équipe mobile Eolia, a rappelé que la psychiatrie médico-légale est la spécialité de la médecine dont l'objectif est le traitement des délinquants atteints de troubles mentaux ou d'autres personnes nécessitant une prise en charge similaire, y compris l'évaluation et l'encadrement du risque et la prévention de la récidive.

" À Anvers, un des orateurs a parlé de la distinction à faire entre les lois de tradition romaine et celles de tradition anglo-saxonne. C'est là aussi que l'on voit que l'Europe au niveau psychiatrique doit encore se construire... ", constate-t-il.

C'est délirant

Qu'est-ce que la cognition morale dans la violence liée à la psychose ? " Tout un programme ! ", s'exclame Louis De Page, psychologue. " Il nous vient de deux auteurs, Ken O'Reilly et Harry Kennedy (Dublin, Irlande). J'ai testé leur travail chez nous, au Centre Titeca. "

" Dans les années 50, on était dans une prédiction du risque tout à fait statistique. Ensuite, l'aspect clinique a pris plus de place dans cette évaluation. Plus tard, on s'est aussi intéressé aux facteurs protecteurs, au sens que donne à sa vie le patient que l'on évalue. "

Quel est l'importance du délire dans le passage à l'acte criminel ? " Chez les patients qui souffrent de maladies dans le champ de la psychose, on sait que le délire est un élément que l'on ne peut pas omettre quand il s'agit de violence. Quand il y a délire, la probabilité de violence est plus élevée, mais il n'intervient cependant pas dans tous les types de violence. "

Il y a donc une relation empirique entre délire et violence, dès lors, dans quelle mesure la présence d'un délire vat-elle entraîner de la violence ? " Il existe deux typologies ", explique Louis De Page. " Dans la première, on distingue la violence expressive ou réactive qui défend une valeur, avec souvent une réaction affective, peu planifiée (elle concerne 64 % des patients hospitalisés au Centre Titeca en 2017 et 2018) ; et la violence instrumentale qui vise un plaisir personnel, un enrichissement, et qui souvent est planifiée (vol de voiture...) (36 % de nos patients). "

" Dans la deuxième typologie, on distingue la violence motivée par un but 'égoïste' qui vise un enrichissement personnel (46 % des patients) et la violence motivée par des convictions morales ('c'est pas juste', 'on me fait du tort') (54%). "

" Quand on croise nos chiffres, 46 % de nos internés sont plus dans la typologie 'violence morale et expressive' (ils défendent quelque chose, coups et blessures) et 7 % combinent 'violence morale et instrumentale'. Souvent, les patients qui font partie de ce petit groupe-là restent perpétuellement dangereux, ils ont une haute probabilité de passage à l'acte, ce sont des personnes très délirantes, qui défendent des valeurs et n'hésiteront devant rien pour aller jusqu'au bout. " Enfin, 29 % des patients internés sont dans la typologie 'violence instrumentale à but personnel/égoïste' (vol simple, viol planifié) et 15 % dans celle de 'violence expressive à but personnel/égoïste'.

Y a-t-il une moralité chez les fous ?

" Cela véhicule beaucoup de clichés populaires ", observe le psychologue. " Si on est violent, c'est qu'on est intrinsèquement mauvais, ou bien c'est parce qu'on ne comprend pas le mal que l'on fait à l'autre, ou qu'on est tellement égoïste qu'on en n'a rien à faire de ce qu'on inflige à l'autre. Être violent ne peut pas être quelque chose de moral alors qu'en fait les délires paranoïaques regorgent de thèmes moraux ! "

La cognition morale correspond à la façon dont les gens décident de ce qui est bien ou pas bien. On décrit cinq grands fondements moraux : le bien vs le mal ; l'équitabilité vs l'injustice ; la loyauté vs la traîtrise ; l'autorité vs la méfiance ; et la pureté vs la souillure. " Quand une forme de moralité est incluse dans le délire, elle arme (au sens propre) ce délire : elle légitimise, elle contraint à agir et donne une suprématie ", traduit-il.

Quelles sont les implications sur le traitement et l'évaluation du risque ? " Il est important de voir les préoccupations morales en cours ou passées du patient. Une hypothèse en vogue dans la recherche actuelle c'est que plus les capacités cognitives sont atteintes, plus il y aura de déficits dans la cognition morale. Parce que le patient a moins de souplesse, plus de psychorigidité... "

" La simple inclusion de la maladie mentale dans l'évaluation est juste mais insuffisante, conclut Louis De Page. Une partie de l'anatomie du lien psychose/violence se situe dans les événements moraux qui sous-tendent les délires et c'est pour ça qu'il faut y consacrer plus d'attention plutôt que de se dire que ces patients sont à côté de la plaque. Il s'avère dans les recherches que la cognition morale est un médiateur clé dans la violence. Par exemple, dans une étude incluant 80 schizophrènes ayant commis un homicide vs 40 qui n'en n'ont pas commis, le premier groupe avait des notes de cognition morale plus élevées que l'autre. C'est surprenant, mais c'est ainsi ! "

www.chjt.be

Le 2 octobre dernier, le Dr Pierre Titeca et Louis De Page du Centre hospitalier Jean Titeca ont fait un compte-rendu du dernier congrès de l'IAFMHS ( International Association of Forensic Mental Health) qui s'est déroulé en juin (12 au 14) à Anvers.Le Dr Pierre Titeca, psychiatre responsable de l'unité de soins HEGOA accueillant des patients internés et de l'équipe mobile Eolia, a rappelé que la psychiatrie médico-légale est la spécialité de la médecine dont l'objectif est le traitement des délinquants atteints de troubles mentaux ou d'autres personnes nécessitant une prise en charge similaire, y compris l'évaluation et l'encadrement du risque et la prévention de la récidive." À Anvers, un des orateurs a parlé de la distinction à faire entre les lois de tradition romaine et celles de tradition anglo-saxonne. C'est là aussi que l'on voit que l'Europe au niveau psychiatrique doit encore se construire... ", constate-t-il.Qu'est-ce que la cognition morale dans la violence liée à la psychose ? " Tout un programme ! ", s'exclame Louis De Page, psychologue. " Il nous vient de deux auteurs, Ken O'Reilly et Harry Kennedy (Dublin, Irlande). J'ai testé leur travail chez nous, au Centre Titeca. "" Dans les années 50, on était dans une prédiction du risque tout à fait statistique. Ensuite, l'aspect clinique a pris plus de place dans cette évaluation. Plus tard, on s'est aussi intéressé aux facteurs protecteurs, au sens que donne à sa vie le patient que l'on évalue. "Quel est l'importance du délire dans le passage à l'acte criminel ? " Chez les patients qui souffrent de maladies dans le champ de la psychose, on sait que le délire est un élément que l'on ne peut pas omettre quand il s'agit de violence. Quand il y a délire, la probabilité de violence est plus élevée, mais il n'intervient cependant pas dans tous les types de violence. "Il y a donc une relation empirique entre délire et violence, dès lors, dans quelle mesure la présence d'un délire vat-elle entraîner de la violence ? " Il existe deux typologies ", explique Louis De Page. " Dans la première, on distingue la violence expressive ou réactive qui défend une valeur, avec souvent une réaction affective, peu planifiée (elle concerne 64 % des patients hospitalisés au Centre Titeca en 2017 et 2018) ; et la violence instrumentale qui vise un plaisir personnel, un enrichissement, et qui souvent est planifiée (vol de voiture...) (36 % de nos patients). "" Dans la deuxième typologie, on distingue la violence motivée par un but 'égoïste' qui vise un enrichissement personnel (46 % des patients) et la violence motivée par des convictions morales ('c'est pas juste', 'on me fait du tort') (54%). "" Quand on croise nos chiffres, 46 % de nos internés sont plus dans la typologie 'violence morale et expressive' (ils défendent quelque chose, coups et blessures) et 7 % combinent 'violence morale et instrumentale'. Souvent, les patients qui font partie de ce petit groupe-là restent perpétuellement dangereux, ils ont une haute probabilité de passage à l'acte, ce sont des personnes très délirantes, qui défendent des valeurs et n'hésiteront devant rien pour aller jusqu'au bout. " Enfin, 29 % des patients internés sont dans la typologie 'violence instrumentale à but personnel/égoïste' (vol simple, viol planifié) et 15 % dans celle de 'violence expressive à but personnel/égoïste'." Cela véhicule beaucoup de clichés populaires ", observe le psychologue. " Si on est violent, c'est qu'on est intrinsèquement mauvais, ou bien c'est parce qu'on ne comprend pas le mal que l'on fait à l'autre, ou qu'on est tellement égoïste qu'on en n'a rien à faire de ce qu'on inflige à l'autre. Être violent ne peut pas être quelque chose de moral alors qu'en fait les délires paranoïaques regorgent de thèmes moraux ! "La cognition morale correspond à la façon dont les gens décident de ce qui est bien ou pas bien. On décrit cinq grands fondements moraux : le bien vs le mal ; l'équitabilité vs l'injustice ; la loyauté vs la traîtrise ; l'autorité vs la méfiance ; et la pureté vs la souillure. " Quand une forme de moralité est incluse dans le délire, elle arme (au sens propre) ce délire : elle légitimise, elle contraint à agir et donne une suprématie ", traduit-il.Quelles sont les implications sur le traitement et l'évaluation du risque ? " Il est important de voir les préoccupations morales en cours ou passées du patient. Une hypothèse en vogue dans la recherche actuelle c'est que plus les capacités cognitives sont atteintes, plus il y aura de déficits dans la cognition morale. Parce que le patient a moins de souplesse, plus de psychorigidité... "" La simple inclusion de la maladie mentale dans l'évaluation est juste mais insuffisante, conclut Louis De Page. Une partie de l'anatomie du lien psychose/violence se situe dans les événements moraux qui sous-tendent les délires et c'est pour ça qu'il faut y consacrer plus d'attention plutôt que de se dire que ces patients sont à côté de la plaque. Il s'avère dans les recherches que la cognition morale est un médiateur clé dans la violence. Par exemple, dans une étude incluant 80 schizophrènes ayant commis un homicide vs 40 qui n'en n'ont pas commis, le premier groupe avait des notes de cognition morale plus élevées que l'autre. C'est surprenant, mais c'est ainsi ! "