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À l'heure de mettre sous presse, le Rwanda Charity Eye Hospital (RCEH), installé dans le district de Kamonyi, à un jet de pierre de la capitale rwandaise, devrait être prêt à ouvrir ses portes. C'est toutefois le lundi 9 juillet à 9 heures pile que Piet Noë se présente à la porte de notre hôtel à Kigali avec son 4x4 pour nous emmener visiter le chantier.Notre guide trouve habilement son chemin dans le chaos des grosses automobiles (principalement japonaises) et des innombrables taxi-motos et taxi-vélos que les Rwandais utilisent pour se déplacer et transbahuter de lourdes charges. Après un quart d'heure de trajet très zen, nous ne pouvons que conclure que l'ophtalmologue est un authentique Africain blanc. Il a pris la tête du service d'ophtalmologie de l'hôpital de Kabgayi (à une trentaine de kilomètres du nouveau Rwanda Charity Eye Hospital) il y a une dizaine d'années, mais c'est dès 2004 qu'il a quitté sa ville natale d'Audenarde pour aller travailler en Afrique, et plus précisément en Ouganda. " Lorsque j'ai entamé mes études de médecine à 18 ans, porté par ma foi, j'étais déjà bien décidé à partir travailler dans le tiers-monde. On peut dire que c'était une véritable vocation. "Le chantier est perché sur la crête d'une colline qui domine les villages voisins. On aperçoit de loin les femmes en boubous colorés qui partent travailler aux champs, binette sur l'épaule, les hommes qui transportent sur leur tête ou sur leurs épaules d'énormes paquets, les enfants affublés de divers uniformes en route pour l'école (buissonnière). Ici, rien ne trahit la proximité de la capitale." Kigali se développe à un rythme tel que d'ici quelques années, l'hôpital se trouvera en pleine ville ", affirme toutefois Piet Noë tandis qu'il nous fait découvrir le chantier en s'arrêtant de temps à autre pour discuter avec les contremaîtres et ouvrier(e)s. " Pratiquement tout se fait à la main, car faire venir des machines jusqu'ici coûterait une fortune. La plupart des ouvriers viennent des villages des environs, ce qui permet aux familles locales de gagner un peu d'argent grâce aux travaux. Kigali a le visage d'une ville prospère à l'occidentale, mais dès que l'on s'en éloigne, on découvre la misère de la population rurale. L'immense majorité des familles n'ont que 40 à 50 euros par mois pour vivre... mais heureusement, la plupart possèdent un petit lopin où elles cultivent des bananes, du manioc, des patates douces, des haricots et du sorgo, une céréale utilisée pour fabriquer de la bière de banane ou urwagwa. "Une jeune femme casse des pierres à la pioche, des ouvriers escaladent des échafaudages bricolés à l'aide de quelques planches, d'autres femmes font des allers-retours avec des matériaux qu'elles portent sur la tête, un homme d'un certain âge manie la pelle dans une fosse de plusieurs mètres de profondeur pour creuser un puits : ils sont 100 à 150 à travailler ici six voire sept jours sur sept comme autant de fourmis ayant chacune sa tâche au sein de la colonie. René, un robuste jeune homme barbu originaire de Rotterdam, s'affaire à préparer le matériel de pointe dans les salles de consultation.Piet Noë nous guide dans le dédale des bâtiments avec un enthousiasme non dissimulé. " L'hôpital devrait comporter environ 3.000m2 de surface construite. Il s'adressera à deux groupes de patients: ceux qui sont assurés au "Mutuel de Santé" (les patients dits ordinaires) et les plus aisés qui disposent d'une assurance privée, qui recevront une facture plus élevée. Depuis 2005, prendre une assurance de santé est obligatoire; environ 80 % des Rwandais sont affiliés au "Mutuel de Santé". L'adhésion coûte environ 3.000 francs rwandais (l'équivalent de 3 euros), mais l'assuré doit payer de sa poche 10 % de la facture. Nous créons ici une ONG pour aider les patients les moins fortunés à couvrir des coûts supplémentaires comme le transport, les repas au cours de l'hospitalisation, etc. Nous dépendrons des patients qui paient davantage pour faire tourner l'hôpital, la proportion étant d'environ trois assurés au " Mutuel de Santé " pour un assuré privé. J'espère que nos calculs tiennent la route... Je précise à toutes fins utiles que notre projet ne sera pas un hôpital commercial, mais une clinique privée autosuffisante à caractère social."Coût du projet : 1,5 million d'euros. " J'y ai investi toutes mes économies. Il est financé entièrement grâce à mon capital personnel, aux dons de parents et d'amis réunis au sein de l'asbl Licht in het Duister et au soutien de nombreux sympathisants. " L'hôpital pourra héberger 80 patients : 20 en chambre double avec un proche, les autres dans des salles communes. " Ils recevront toutefois tous les mêmes soins médicaux ", précise l'ophtalmologue. " La clinique sera très bien équipée et nous serons en mesure de réaliser la plupart des opérations ophtalmologiques : chirurgie de la cataracte, du glaucome, de la paupière et de l'orbite, ophtalmologie pédiatrique, chirurgie de la rétine... J'ai suivi des formations complémentaires en ce sens à l'hôpital de l'oeil de Rotterdam ces dernières années. L'an dernier, j'ai aussi travaillé pendant neuf mois comme membre du staff médical et spécialiste en chirurgie de la rétine à l'Erasmus MC, également à Rotterdam. Il n'y a guère que les greffes de cornée que nous ne pourrons pas proposer dans un avenir immédiat. "Environ 1 % des Rwandais sont aveugles ou malvoyants ; en Belgique, cette proportion n'est que de 0,1 %. " La plupart des aveugles pourront être soignés par une simple opération de la cataracte ", poursuit le Dr Noë. " Les cancers ophtalmologiques chez les enfants (retinoblastomes) peuvent également être traités par chimiothérapie, au moyen de traitements locaux (laser, cryothérapie) ou par voie chirurgicale. Alors que le taux de survie des patients atteints d'un rétinoblastome s'élève à 98 % dans notre pays, il n'atteint actuellement que 50 à 60 % au Rwanda, parce que nombre de malades ne font appel à un médecin qu'à un stade avancé. Cela dit, c'est déjà un grand progrès : il n'y a pas si longtemps, ils mouraient tous. "L'hôpital de Kabgayi, où Piet Noë travaillait précédemment, totalise 30 à 40.000 consultations par an. Depuis 2008, l'ophtalmologue y a opéré environ 40.000 patients. " Ce travail m'apporte énormément de satisfaction, mais il m'absorbe aussi à 100 %. Je trouve une grande motivation dans ma foi chrétienne : ici, les besoins sont criants et je peux vraiment faire la différence pour des personnes qui, sans cela, ne seraient pas soignées. "