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À la fois active en tant que MG au Centre médical du Parc à Bouge et dans le milieu académique à l'Université de liège, Anne-Laure Lenoir finit son doctorat en 2017. Le thème de ce dernier : les facteurs d'attraction et de maintien dans la profession de médecin généraliste. Fort de ce bagage, elle apporte une nouvelle vision à la problématique de la pénurie en médecine générale.Pour parler de l'évolution des besoins de soins, il faut parler des évolutions qui l'accompagnent. Rien de bien neuf en soi : l'espérance de vie de la population s'accroît et va de pair avec une diminution de la natalité. À l'horizon 2050, une personne sur quatre sera âgée de plus de 65 ans. Et une personne sur dix aura plus de 80 ans. Plus la vie s'allonge, plus le nombre de maladies chroniques augmente. En bref, les patients multimorbides augmenteront dans les années à venir. " On sait que 20% des plus de 40 ans sont porteurs de multimorbidités. Et on arrive à plus de 75% chez les plus de 70 ans ", note le Dr Lenoir. Autre fait à prendre en considération : l'évolution économique. " Malheureusement, le taux de pauvreté augmente. Ce qui a un lien avec l'augmentation de multimorbidités. "" Ces facteurs vont peser sur nos besoins en soins ", estime le Dr Lenoir. " Cela va provoquer une augmentation du volume de soins. Mais cela ne va pas se traduire uniquement en termes de volume, la nature des soins va également changer. Ils vont devenir plus complexes. Pourquoi ? Parce que même si les patients présentent plusieurs maladies chroniques, on ne peut pas, dans les faits, prendre en charge chaque maladie isolément. Il faut intégrer cela pour centrer les objectifs sur le patient. " À l'évidence pour éviter les relations potentiellement iatrogènes entre les traitements, et conséquemment éviter les hospitalisations inutiles. " Il faut aussi des soins coordonnés, plus de prévention et de promotion de la santé. À la fois pour diminuer le nombre de maladies chroniques et augmenter l'espérance de vie en bonne santé, mais aussi pour lutter contre les inégalités en santé. "Pour répondre à ces défis, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a publié, en 2008 déjà, un rapport intitulé " Les soins de santé primaires maintenant plus que jamais. " L'OMS recommande que les systèmes de soins évoluent vers des systèmes intégrés, centrés sur la personne, avec une vision holistique et coordonnée de la médecine. " Au sein des soins de santé primaires, on retrouve quatre piliers : le contact, la coordination, la promotion de la santé et la continuité des soins ", résume la Namuroise. " On y retrouve bien sûr les médecins généralistes mais aussi les infirmières, les kinés, etc. "Si ce système parvient à s'imposer, un autre défi l'attend au tournant : la pénurie en médecine générale, puisque l'évolution des besoins requerra une augmentation du contingent de généralistes. " Il faut suffisamment de stock pour faire face à cette évolution des besoins ", acquiesce la chargée de cours de l'ULiège. " Les prédictions pour l'avenir de la Commission de planification de l'offre médicale montrent que, si l'on prend le nombre total de médecins actifs, l'évolution est positive en Flandre à l'horizon 2032, mais il manquera de généralistes en francophonie. "" Si on regarde maintenant en équivalents temps-plein (ETP), il y aura un déficit d'ici 2032, que ce soit au nord ou au sud du pays. Pourquoi ? Parce que le nombre d'ETP diminue. Une diminution expliquée par un changement dans l'organisation du travail. " Et ce n'est pas l'apanage de la féminisation du travail. En tout cas, pas uniquement pour la femme médecin. " Il faut y voir un effet générationnel, mais aussi un changement de profil dans le chef du MG. "Ainsi, sans systématiser, Anne-Laure Lenoir note que le médecin de plus de 65 ans est un homme en couple avec un conjoint dont le diplôme est souvent inférieur, voire même il est un conjoint aidant. Dans ce cas de figure, le médecin généraliste est le revenu principal du ménage et a moins de tâches domestiques, laissées au conjoint. " La médecine générale a évolué par rapport à cette génération. Les sociologues français ont montré que les MG sont aujourd'hui souvent en couple avec un conjoint dont le diplôme est équivalent ou supérieur. Ce qui fait que, maintenant, le médecin généraliste n'est plus le revenu principal du foyer et constitue même le petit salaire. Les tâches domestiques ont aussi été réparties différemment. " Voilà qui explique, in fine, la diminution des ETP en médecine générale.Anne-Laure Lenoir se base sur le modèle stock and flow pour dégager trois moyens pour augmenter le contingent de médecins généralistes.Premier moyen : ouverture des vannes à l'entrée. On fait venir plus de nouveaux diplômés. " En supprimant le numerus clausus, il y aura plus de médecins. Mais attention. Il n'y a aucune certitude que les étudiants s'orientent vers la médecine générale. Et la recherche universitaire met en exergue que forcer un étudiant à choisir la médecine générale conduit le plus souvent ce dernier à arrêter la pratique en cours de carrière. Le choix des étudiants est donc important. Attention également : si le risque de pléthore n'est pas pour demain, il existe sur le long terme. La pléthore amène une augmentation des coûts, mais aussi une diminution de la qualité. La suppression du numerus clausus est donc une solution de facilité ", estime le Dr Lenoir.Reste qu'il faut faire venir les étudiants à la médecine générale. Pour cela, le médecin généraliste se base sur les théories de l'orientation professionnelle. " Il faut une représentation positive de la médecine générale, et valoriser les intérêts professionnels. Mais nous sommes dans une société qui valorise davantage la science et la technologie, deux domaines peu représentatifs de la médecine générale. Il faut donc montrer aux jeunes qu'il y a autant de valeur et d'intérêt d'avoir un métier qui touche à l'humain, à la psychologie et au social qu'un métier pointu dans un domaine scientifique. "Deuxième moyen : fermer les vannes à la sortie. " On ne peut pas empêcher les gens de prendre leur retraite ou de partir à l'étranger. Mais on peut essayer de limiter les départs anticipés. Si les généralistes n'arrêtent pas systématiquement leur métier par manque d'intérêt, cela peut arriver. Et c'est là-dessus qu'il faut travailler ", estime Anne-Laure Lenoir. " Il est nécessaire de limiter l'insatisfaction liées aux conditions de travail. C'est-à-dire limiter les conflits de rôle (diminution du travail clinique au profit du travail administratif, ou des réalisations d'actes contre ses valeurs par exemple), adapter la profession par rapport aux autres rôles sociaux. Les médecins sont aujourd'hui plus sensibles à l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Il faut y faire attention. Il faut enfin apporter un soutien clinique, organisationnel et émotionnel aux médecins. "Dernier moyen : réfléchir à une réorganisation des services de santé. " Si on compare la densité médicale en Belgique par rapport à d'autres pays européens, on remarque que la Belgique est à 1,14 MG/1.000 habitants alors que le Royaume Uni en compte 0,76 et la Norvège 0,74. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les systèmes anglais ou norvégien fonctionnent moins bien, seulement, ils sont différents, avec plus d'équipes de soins primaires. "En conclusion, s'il faut peut-être recalculer les quotas et réfléchir au numerus clausus, il existe d'autres moyens afin de faire face à la prochaine évolution des besoins en santé.