Le projet du "numerus clausus" intéresse des politiques de droite comme de gauche et des lobbies multiples. Planifier dans un système totalement libéralisé semble un non-sens et peut s'avérer dangereux. Le concept de planification renvoie pour la gauche aux politiques léninistes de relance, alors que pour la droite la démarche est d'avantage corporatiste. La nécessité d'organiser les soins apparaît à tous primordiale. Néanmoins, le monde médical n'est pas sur la même longueur d'onde tant au Nord et qu'au Sud. Le maintien d'un étau aussi drastique au Sud est en train d'étouffer les francophones... mais tout relâchement de la mesure sera associé à la menace de scission de la sécurité sociale. C'est bien une conjonction d'intérêts d'acteurs poursuivant des objectifs très différents qui maintient ce système, alors que les buts initiaux menant à son instauration n'ont pas amené les résultats escomptés.

Demande induite par l'offre

En effet, l'argument majeur qui a mené à ce système est celui de "la demande induite par l'offre", loi économique largement débattue et controversée dans la littérature scientifique. Dans sa version la plus courante, cette "loi" suppose que le médecin a un comportement non éthique visant à assurer sa patientèle en demandant des soins inutiles pour son intérêt pécuniaire. La densité médicale diminuant par un numerus, le coût en soins diminuera. Cela ne s'est jamais vérifié, sauf si une spécialité médicale disparait d'une région... A contrario, le financement à l'acte est souvent pointé du doigt comme incitateur de demandes d'examens complémentaires non recommandés, notamment lorsque cette activité est le fruit d'une pression gestionnaire hospitalière. La faute au médecin ou au système ?

Il existe néanmoins de grosses différences Nord-Sud, une question de culture médicale (et parfois de rapports de force entre lobbies) devant être prise en compte pour l'expliquer. Sur base de cette "loi" et compte tenu des premiers chiffres de 1997 qui montrait une densité médicale francophone plus abondante (sans examiner l'activité réelle de ces médecins), certains politiques et médecins ont laissé entendre que la Flandre perfusait financièrement la Wallonie. Cette perfusion était provoquée par une surconsommation des soins par les francophones. Régulièrement, la N-VA rappelle cette vieille rengaine au parlement et dans la presse. C'est cette même antienne qui est au centre de la menace de scission de la sécurité sociale.

Or, aujourd'hui, les études du coût moyen par patient publiée par l'Inami montrent qu'en Belgique, le coût moyen des soins pour un flamand, un bruxellois ou un wallon est similaire. L'argument de la vampirisation wallonne ne ressort dès lors plus du domaine du rationnel mais fait partie de celui de l'idéologie pure : il s'agit d'un pur argument de doctrine - en l'occurrence, nationaliste flamande.

Assistants de pratique

Un autre objectif de ce système visait à amoindrir la pénurie de médecins généralistes qui s'annonçait, en imposant un nombre minimum de médecins généralistes. Or, c'est bien une valorisation de la médecine générale, tant en matière de statut que de rémunération, mais également de place dans l'organisation des soins, qui peut inciter de nouvelles vocations. Ici encore, le numerus clausus paraissait une solution aisée (quota minimum de médecins généralistes) mais qui n'a pas montré ses preuves. L'arrivée de nombreux doyens généralistes dans les facultés a permis de promouvoir cette médecine essentielle et de la valoriser.

Un dernier point attenant concerne les assistants de pratique en médecine générale, profession retrouvée aux Pays-Bas par exemple. Cette démarche est très intéressante car elle a le mérite de préciser les tâches et compétences de chaque corps de métiers, en plus de soulager le médecin généraliste de certains actes. Là encore, certains voyaient un intérêt particulier à forcer une pénurie en médecine générale pour forcer le politique à créer cette profession en Belgique. Si le débat est pertinent et la solution séduisante, il s'agit d'un problème de coordination des soins en première ligne indépendant de la saga "numerus".

Ces dernières années, le concept de pénurie a pris un sens plus précis puisqu'on parle de pénurie géographique. Elle concerne aussi bien la médecine générale que la médecine spécialisée (gériatre, urgentistes, pédopsychiatre,...) à l'échelle nationale/régionale mais également communale. Qui plus est, pour la médecine spécialisée, on décrit souvent une pénurie hospitalière - par exemple en ophtalmologie ou en pédiatrie - alors que ce n'est pas le cas en ambulatoire (entendons par là l'extrahospitalier). Ce point est pertinent puisqu'elle reflète encore une lacune en matière d'organisation des soins, y compris en définissant le rôle de chacun en collaboration avec la médecine générale. Un volet qui devra dans ce cadre être abordé est la liberté d'installation afin de cibler les zones en pénurie qu'il est urgent de combler.

Ces quelques exemples nous montrent à quel point le politique a préféré s'attaquer au maillon le plus faible de la chaîne, à savoir les étudiants, plutôt que de poser des questions plus larges de santé publique et d'organisation des soins. Cela montre aussi, hélas, la pauvreté des politiques de santé dans notre pays.

Inefficience du numerus clausus

20 ans après l'instauration du numerus clausus, le bilan devrait être tiré. De nombreux éléments connus et reconnus ont montré son inefficience. La situation sur le terrain se complique désormais : on assiste par exemple à un recours massif de main d'oeuvre européenne pour combler le déficit et ceci au détriment de jeunes qui font leurs études en Belgique. L'évolution des réalités sociologiques des médecins doit être prise en compte, notamment la tendance à chercher une meilleure qualité de vie. Continuer à planifier dans un système désorganisé alimenté par des flux de médecins non maîtrisables constitue une forme d'hérésie intellectuelle.

Le politique doit se ressaisir et prendre en main cette question, fût-elle si sensible dans les débats communautaires. Car derrière ce dispositif bancal se trouvent les patients, qui ont le droit d'exiger une qualité des soins optimaux par des médecins qui s'épanouissement dans leur profession.

Dès lors, une question demeure: quand arrêtera-t-on de prendre en otage les étudiants ?

Le projet du "numerus clausus" intéresse des politiques de droite comme de gauche et des lobbies multiples. Planifier dans un système totalement libéralisé semble un non-sens et peut s'avérer dangereux. Le concept de planification renvoie pour la gauche aux politiques léninistes de relance, alors que pour la droite la démarche est d'avantage corporatiste. La nécessité d'organiser les soins apparaît à tous primordiale. Néanmoins, le monde médical n'est pas sur la même longueur d'onde tant au Nord et qu'au Sud. Le maintien d'un étau aussi drastique au Sud est en train d'étouffer les francophones... mais tout relâchement de la mesure sera associé à la menace de scission de la sécurité sociale. C'est bien une conjonction d'intérêts d'acteurs poursuivant des objectifs très différents qui maintient ce système, alors que les buts initiaux menant à son instauration n'ont pas amené les résultats escomptés. En effet, l'argument majeur qui a mené à ce système est celui de "la demande induite par l'offre", loi économique largement débattue et controversée dans la littérature scientifique. Dans sa version la plus courante, cette "loi" suppose que le médecin a un comportement non éthique visant à assurer sa patientèle en demandant des soins inutiles pour son intérêt pécuniaire. La densité médicale diminuant par un numerus, le coût en soins diminuera. Cela ne s'est jamais vérifié, sauf si une spécialité médicale disparait d'une région... A contrario, le financement à l'acte est souvent pointé du doigt comme incitateur de demandes d'examens complémentaires non recommandés, notamment lorsque cette activité est le fruit d'une pression gestionnaire hospitalière. La faute au médecin ou au système ? Il existe néanmoins de grosses différences Nord-Sud, une question de culture médicale (et parfois de rapports de force entre lobbies) devant être prise en compte pour l'expliquer. Sur base de cette "loi" et compte tenu des premiers chiffres de 1997 qui montrait une densité médicale francophone plus abondante (sans examiner l'activité réelle de ces médecins), certains politiques et médecins ont laissé entendre que la Flandre perfusait financièrement la Wallonie. Cette perfusion était provoquée par une surconsommation des soins par les francophones. Régulièrement, la N-VA rappelle cette vieille rengaine au parlement et dans la presse. C'est cette même antienne qui est au centre de la menace de scission de la sécurité sociale. Or, aujourd'hui, les études du coût moyen par patient publiée par l'Inami montrent qu'en Belgique, le coût moyen des soins pour un flamand, un bruxellois ou un wallon est similaire. L'argument de la vampirisation wallonne ne ressort dès lors plus du domaine du rationnel mais fait partie de celui de l'idéologie pure : il s'agit d'un pur argument de doctrine - en l'occurrence, nationaliste flamande.Un autre objectif de ce système visait à amoindrir la pénurie de médecins généralistes qui s'annonçait, en imposant un nombre minimum de médecins généralistes. Or, c'est bien une valorisation de la médecine générale, tant en matière de statut que de rémunération, mais également de place dans l'organisation des soins, qui peut inciter de nouvelles vocations. Ici encore, le numerus clausus paraissait une solution aisée (quota minimum de médecins généralistes) mais qui n'a pas montré ses preuves. L'arrivée de nombreux doyens généralistes dans les facultés a permis de promouvoir cette médecine essentielle et de la valoriser.Un dernier point attenant concerne les assistants de pratique en médecine générale, profession retrouvée aux Pays-Bas par exemple. Cette démarche est très intéressante car elle a le mérite de préciser les tâches et compétences de chaque corps de métiers, en plus de soulager le médecin généraliste de certains actes. Là encore, certains voyaient un intérêt particulier à forcer une pénurie en médecine générale pour forcer le politique à créer cette profession en Belgique. Si le débat est pertinent et la solution séduisante, il s'agit d'un problème de coordination des soins en première ligne indépendant de la saga "numerus". Ces dernières années, le concept de pénurie a pris un sens plus précis puisqu'on parle de pénurie géographique. Elle concerne aussi bien la médecine générale que la médecine spécialisée (gériatre, urgentistes, pédopsychiatre,...) à l'échelle nationale/régionale mais également communale. Qui plus est, pour la médecine spécialisée, on décrit souvent une pénurie hospitalière - par exemple en ophtalmologie ou en pédiatrie - alors que ce n'est pas le cas en ambulatoire (entendons par là l'extrahospitalier). Ce point est pertinent puisqu'elle reflète encore une lacune en matière d'organisation des soins, y compris en définissant le rôle de chacun en collaboration avec la médecine générale. Un volet qui devra dans ce cadre être abordé est la liberté d'installation afin de cibler les zones en pénurie qu'il est urgent de combler. Ces quelques exemples nous montrent à quel point le politique a préféré s'attaquer au maillon le plus faible de la chaîne, à savoir les étudiants, plutôt que de poser des questions plus larges de santé publique et d'organisation des soins. Cela montre aussi, hélas, la pauvreté des politiques de santé dans notre pays.20 ans après l'instauration du numerus clausus, le bilan devrait être tiré. De nombreux éléments connus et reconnus ont montré son inefficience. La situation sur le terrain se complique désormais : on assiste par exemple à un recours massif de main d'oeuvre européenne pour combler le déficit et ceci au détriment de jeunes qui font leurs études en Belgique. L'évolution des réalités sociologiques des médecins doit être prise en compte, notamment la tendance à chercher une meilleure qualité de vie. Continuer à planifier dans un système désorganisé alimenté par des flux de médecins non maîtrisables constitue une forme d'hérésie intellectuelle.Le politique doit se ressaisir et prendre en main cette question, fût-elle si sensible dans les débats communautaires. Car derrière ce dispositif bancal se trouvent les patients, qui ont le droit d'exiger une qualité des soins optimaux par des médecins qui s'épanouissement dans leur profession. Dès lors, une question demeure: quand arrêtera-t-on de prendre en otage les étudiants ?