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Jdm: Pensez-vous que durant ces quatre dernières années le Modes est parvenu à faire entendre sa voix en tant que syndicat pour les spécialistes.- Dr Gérald Deschietere : Pour l'instant, nous n'avons pas eu une influence quantitative mais les lignes bougent un peu. Parfois, on a l'impression, dans des cas concrets, que l'Absym rejoint le positionnement du Cartel. Cette influence dépend fort des spécialités. La difficulté pour nous est de nous intéresser au cas singulier que représente chaque spécialité médicale. Nous aimerions avoir des personnes de référence dans chacune des spécialités qui connaissent leur discipline et veulent aussi jouer un rôle de représentation "politique". En psychiatrique, le positionnement défendu par le Modes a finalement été suivi par l'Absym. C'est vrai dans d'autres spécialités.Votre syndicat est plus jeune que l'Absym. Vous devez faire plus d'efforts pour vous faire connaître.- En effet, notre structure est plus récente. Par ailleurs, nous avons décidé, contrairement à l'Absym, de ne pas demander aux conseils médicaux d'affilier l'ensemble de leurs médecins à un syndicat. Nous estimons qu'une telle pratique ne peut plus exister de nos jours. Ce choix nuit évidemment à notre capacité d'élargir notre base commune. Des médecins hospitaliers demandent tout de même à leurs conseils médicaux (CM) de ne pas être inscrits d'office à l'Absym. A l'inverse, dans certaines spécialités la cotisation est directement payée à l'Absym par le CM. Si ce genre de pratique était de mise dans une commune, cela ferait la Une des journaux...Vous voulez privilégier la qualité de vie des médecins spécialistes. Est-ce nécessaire?- Dans ma fonction médicale, je reçois chaque mois plusieurs confrères qui me disent qu'ils ne vont pas bien. Ils ne trouvent plus assez de place pour vivre autre chose que leur passion de médecin. Ce sont des passionnés mais souvent, à leur corps défendant, leur profession les empêche de s'occuper d'autre chose que de la médecine. Les représentants du Modes - qui appartiennent majoritairement à la jeune génération - se rendent compte de cette préoccupation exprimée par leurs confrères. Au Modes, nous sommes attristés par le fait que les revendications des médecins - entre autres portées par l'Absym - soient essentiellement salariales. Globalement, les médecins gagnent bien leur vie. Pas tous les médecins, pas ceux qui posent uniquement des actes intellectuels. Par rapport aux revendications de revenus pour les spécialités qui sont déjà bien rémunérées, il vaudrait mieux penser au confort de vie de ces praticiens et à leurs capacités à être agréables lorsqu'ils voient des patients.Il est anormal d'entendre que de nombreux spécialistes veulent arrêter de travailler. Un médecin doit bien gagner sa vie parce qu'il a des responsabilités et est fort disponible. En tant que lanceur d'alerte, le Modes est très inquiet de voir la dégradation du lien social chez certains soignants, épuisés par le travail. Il faut réclamer des moyens supplémentaires pour certaines spécialités et pour certains soignants mais il faut également réfléchir à l'organisation de l'hôpital et des différentes lignes de soins pour que la médecine puisse rester une passion.La collaboration entre les spécialistes -entre autres au sein des réseaux hospitaliers - est-elle une solution pour réduire la pression sur le médecin ?- Il est important de pouvoir répartir sur le plus grand nombre la charge de travail. Il n'est, par exemple, pas utile d'avoir des services d'urgences tous les deux kilomètres ou des médecins qui sont de garde en même temps dans des hôpitaux voisins. Cette organisation confine au ridicule mais il faut aussi rassurer les médecins en leur permettant d'avoir des temps de réunion, durant leur temps de travail, pour organiser ces collaborations. Ces échanges permettraient d'éviter de considérer l'autre comme un rival et de le voir plutôt comme un partenaire. Dans les discussions autour des réseaux hospitaliers, on a beaucoup entendu parler de l'organisation mais peu des ressources humaines. Il ne faut pas retirer aux médecins le rôle de concertation et d'organisation. Dans votre programme, vous réclamez une rémunération équitable et un temps de formation suffisant pour les médecins candidats spécialistes en formation. Leur situation est-elle toujours problématique ?- Globalement, la situation des spécialistes en formation est meilleure qu'avant. Les médecins plus âgés doivent être attentifs à ne pas montrer le mauvais exemple au niveau de temps passé à l'hôpital. Il faut dire aux médecins en formation de quitter l'hôpital après une garde. Quant au temps de formation, il faut veiller à donner ce temps aux candidats spécialistes via un parcours académique (master complémentaire). Cela ne peut pas se résumer à pratiquer avec un confrère. Il faut des cours théoriques. La question de la rémunération n'est pas essentielle. Par contre, il est anormal que les candidats spécialistes ne cotisent pas pour leurs pensions durant leur formation. Il faut aussi les accompagner mieux au niveau de leur santé mentale. Je vois régulièrement des assistants ou des internes qui ne vont pas bien.Le Modes veut privilégier l'équité salariale entre les médecins spécialistes. Les écarts de revenus sont-ils trop grands ?- Cet écart de rémunération est fort problématique parce que certains étudiants en médecine choisissent leur future spécialité en fonction des revenus qu'ils pourront obtenir plus tard. Je n'ai aucun souci avec le fait qu'un chirurgien ou un anesthésiste gagne mieux sa vie qu'un psychiatre. Par contre, choisir une spécialité en fonction de la rémunération me pose problème. Par rapport à la fonction sociale du médecin, et dans le contexte des affaires de Nethys et du Samu social, il faut garder une certaine lucidité. Est-ce normal qu'un médecin gagne plus que la plupart des premiers ministres européens ? Dans le cadre de la refonte de la nomenclature - en cours mais pas encore aboutie -, il faut que les fonctions relationnelles et sociales des médecins spécialistes puissent être soutenues au travers de la rémunération. Vous travaillez à optimiser la collaboration entre les MG et les SP, ainsi qu'entre les hôpitaux.- Cette collaboration est indispensable. Nous fondons cette conviction sur nos expériences cliniques. Nous avons besoin d'avoir des médecins généralistes disponibles. Nous ne sommes pas là pour leur donner des ordres mais pour réfléchir ensemble les différentes lignes de soins afin de mieux prendre en charge les patients. Durant les formations, les médecins généralistes devraient venir voir comment les spécialistes travaillent à l'hôpital et inversement.Vous vous battez pour une revalorisation de la quote-part qui revient au médecin lors des consultations à l'hôpital ainsi qu'une prise en charge des coûts de la polyclinique par le biais du financement de l'hôpital.- Nous réclamons une plus grande transparence financière sur ce qui est à charge du médecin, de l'institution, du patient et des mutuelles. Rendre visibles les transferts d'argent entre les médecins et l'hôpital permet de montrer qu'il faut penser autrement le financement des structures de soins. Cela pose également la question du statut du médecin. Un jour, un homme ou une femme politique devra se demander s'il faut autant de statuts différents (indépendant, salarié, en société...).Vous refusez d'être dans une posture corporatiste.- Nous défendons le statut du médecin mais nous voulons aussi défendre d'autres corps de métier et créer une solidarité avec ces prestataires. C'est une vision non corporatiste de la défense professionnelle.Le Modes défend une conception holistique de la médecine spécialisée.- La médecine doit garder une dimension artisanale dans le colloque singulier en s'appuyant sur une base scientifique solide. Il faut dès lors faire des choix politiques clairs au niveau de la formation et de l'avenir de la médecine. Si on ne veut que des " techniciens " qui ne s'occupent que de l'acte - et ce n'est pas péjoratif - il faut le dire clairement et sélectionner autrement les futurs médecins. Pour ma part, je mets en garde contre la perte de l'aspect artisanal de notre profession, contrainte par la place toujours plus prépondérante de la technicité.- Découvrez l'interview-vidéo du Dr Deschietere sur notre site internet. Plus d'informations sur le programme : www.lemondedesspecialistes.beEntretien réalisé par Vincent Claes