Médecine et mercantilisme

Le sujet est d'actualité parce qu'il s'inscrit dans une civilisation où les relations sont dominées par des règlements à vocation économique et où l'objectif de profit imprègne la société. La Directive européenne sur les marchés publiques vient d'en faire la démonstration en assujettissant à ses règles les prestations de santé, dès qu'elles sont effectuées à titre d'indépendant. Cela signifie qu'elles sont régies par les règles de la concurrence. Dans l'appel d'offres obligatoire, l'adjudication doit être attribuée à l'offre économiquement la plus avantageuse pour l'adjudicateur, par exemple l'hôpital qui veut offrir un poste à un médecin hospitalier, et non pour le malade comme le voulait l'éthique. Cela reviendrait pour l'hôpital à acheter le plus bas possible des services médicaux pour les revendre, ce qui entre typiquement dans l'activité commerciale. Nous avons fait valoir pour sortir le médecin des règles du marché que le statut particulier du médecin hospitalier répond plus aux caractères du service public qu'à ceux du commerce

Ce qui caractérise le caractère commercial, c'est l'objectif mercantile au détriment possible du client. L'historien américain, le docteur Howard W. Haggard[1] expliquait cette différence il y a soixante ans dans son livre "Démons, drogues et docteurs ". Il commentait alors l'attitude des trois générations d'accoucheurs de la famille Chamberlen qui ont gardé secrète à leur seul usage l'invention du forceps dès 1588 :

"Un homme peut inventer un instrument pour le bénéfice de l'humanité et le vendre...tout en gardant le procédé secret ou le faisant protéger par un brevet...Ce n'est pas le cas dans le domaine médical...Un médecin qui trouve un moyen d'alléger les souffrances humaines ou de prolonger la vie rend ses découvertes publiques...Un tel processus n'est suivi dans aucune autre discipline. La médecine est née de la religion. Elle a conservé par bonheur dans ses principes un peu de la mystique du sacrifice de soi pour le soulagement des souffrances d'autrui, comportement qui doit paraître inconcevable et idiot à la plupart des commerçants et industriels".

Médecine-sacerdoce

La question qui se pose c'est de savoir si la Société d'aujourd'hui, y compris les médecins, n'a pas dans son ensemble également trouvé stupide et en tout cas dépassée, cette assimilation de la médecine à un sacerdoce. Il est de fait que, dans toutes les civilisations, l'activité de faire reculer la mort et d'empêcher les souffrances, a été le fait de prêtres et que quelque chose en est resté à travers les âges. Quand Hippocrate, au 5 ème siècle avant JC, jette les bases d'une vraie médecine, il estime indispensable d'assortir cette approche d'un serment éthique adressé en liminaire aux dieux de la santé, Apollon, Esculape, Hygié et Panacée et tous les autres dieux et déesses, par prudence. Cette soumission connaîtra bien des vicissitudes pour se retrouver dans les monastères du Moyen âge où, comme dans les bibliothèques arabes, se transcrivaient et se traduisaient les écrits des médecins grecs. En attendant les progrès de la science, ils ont été les hospices ancêtres des hôpitaux, gardiens d'une thérapie de la Foi qui n'a jamais disparue. Deux mille ans après Hippocrate, Ambroise Paré invoque encore le caractère sacré de son acte, en soignant un capitaine de François Ier blessé d'un coup d'arquebuse à la bataille de Turin : "Je le pansais et Dieu l'a guéri".

Cela n'a pas empêché, dans l'entretemps, les médecins de l'Empire romains soit d'être achetés comme esclaves par les familles, soit de pratiquer des honoraires pharamineux, sans s'interroger sur leur caractère sacré. En principe, le médecin agit gratuitement mais il reçoit en remerciements des cadeaux qui lui rendent hommage, c-à-d qui l'honorent. Il n'a pas fallu vingt siècles pour que les médecins réalisent qu'il était décevant de compter sur la reconnaissance du patient une fois guéri, même s'il était prêt à donner la moitié de sa fortune quand il avait peur. Les praticiens ont donc fixé la valeur de leurs prestations ou, si on préfère, de leur reconnaissance. Lors de la création de la première école de médecine à Salerne en 900, le Collegium Hippocraticum réunissant les médecins édicte ses règles éthiques inspirées de l'école de Cos mais colorées d' un réalisme digne du droit des obligations réciproques plus que de la religion : "L'administration de médicaments inutiles était permise, car sinon le patient aurait pu considérer qu'il n'en avait pas eu pour son argent. Si, après rétablissement, le patient manifestait de l'ingratitude, il était même conseillé de le rendre malade pour un petit bout de temps au moyen de quelque drogue bénigne "[2].

Le médecin juif Isaac Judeus donne aux médecins un conseil qui a traversé les siècles : "Plus tu te montres exigeant dans les honoraires, plus les traitements que tu ordonneras paraitront miraculeux aux yeux de tes malades"[3].

Condamnation du commerce

A partir du 19ème siècle, en même temps que progresse la médecine, son caractère humanitaire est remis au premier plan parce que les sociétés découvrent les abus possibles d'une médecine qui ne serait pas assujettie à l'Altruisme et à des valeurs transcendantales. En 1948, après la découverte des dérapages de la médecine sous le régime nazi, l'Association médicale mondiale a traduit le sentiment de toutes les associations médicales nationales : il était indispensable d'accompagner le pouvoir médical d'un cadre éthique fort. La charte d'Hippocrate désacralisée mais inchangée dans ses prescription fut transposée en serment de Genève. Celui- ci fut complété l'année suivante à Londres par le Code international d'éthique médicale qui proclame sans équivoque : "Le médecin ne peut jamais poser un acte médical motivé par le bénéfice personnel qu'il peut en retirer".

Tous les Codes de déontologie s'en sont inspirés pour inscrire dans leurs préceptes l'interdiction de tout acte commercial. On y retrouve la condamnation de l'incitation ou sollicitation de prestation, la publicité, les ristournes et toute forme de dichotomie par des partages d'honoraires entre médecins ou avec des tiers et cocontractant s'ils ne sont justifiés par des prestations ou la récupération de frais engagés pour permettre au médecin de réaliser son acte. La défense des intérêts professionnels des médecins doit céder le pas devant les besoins des malades et la continuité des soins et les urgences doivent être assurées même en cas de grève. En Belgique, ces dispositions sont devenues légales à travers l'AR 78.

Qu'est ce qui a donc changé dans l'exercice de la médecine qui en ferait une profession comme les autres ?

La société change

C'est la Société qui a changé. L'Assurance maladie obligatoire remboursant au patient ses dépenses ne modifiait pas fondamentalement la relation médecin- malade. La volonté de l'assureur de fixer les tarifs a ensuite ajouté un tiers commercial dans le dialogue singulier. L'introduction conventionnelle de conditions d'exercice a fait basculer le système dans un cadre juridique plus impératif que la déontologie. Plus récemment, ce cadre s'est coloré de dispositions commerciales, comme le lien prix-volume, ou l'obligation de prescription du médicament le moins cher s'imposant au médecin comme au malade et sortant pourtant du cadre strict d'une assurance. Dans ce dernier, le médecin serait en effet, resté libre de sa prescription et l'assureur libre de ne rembourser que le montant du médicament le moins cher quel que soit le choix. La loi a lié le médecin non à la liberté du patient de décider de son traitement, mais à l'objectif commercial de soutenir l'industrie du générique un peu boudé par les malades et de peser sur le marché du médicament. Demain, le paiement à la performance et les primes accroîtront cette culture du marché.

Simultanément et, paradoxalement, les lois de 1986 et 1994 interdisent les cessions à titre lucratif d'organes de tissus et de cellules, de même que le prélèvement et la distribution de sang, principe largement battu en brèche dans d'autres pays et partout par un marché parallèle. Cette gratuité est contestée. D'aucuns font valoir que ce sont les préjugés sociaux qui fixent ce qui peut se vendre et s'acheter et que ces préjugés varient dans le temps et l'espace en fonction de l'évolution des valeurs. Pour d'autres, le respect de la personne et de son corps constituerait une valeur intrinsèque absolue et la marchandisation du corps y porterait atteinte. La dignité de la personne apparait comme l'axiome de l'Ordre juridique en tant que protection contre les dérives de l'individualisme et de l'égoïsme (Fabre Magnan)[4].

La transplantation, depuis l'inscription sur la liste d'attente jusqu'à la décision d'attribution en passant par l'évaluation risque /bénéfice aux mains du médecin, pourrait facilement se régir par la loi de l'offre et de la demande au plus grand profit du transplanteur, si ce dernier était (ou quand il sera) commerçant. Elle reste pour l'instant une des activités les plus règlementées dans un souci éthique rigoureux.

La protection du malade comme référence

Etant donnée la place prééminente donnée aujourd'hui à la volonté individuelle et à la propriété de chacun sur son corps, on peut supposer que ces fondements ne tiendront plus longtemps. Il faut chercher s'il y en a d'autres.

L'exemption de la TVA dont jouissent les médecins, taxe éminemment commerciale, offre une approche. Sa non-application est strictement limitée, non pas aux prestations de soins par essence, mais en raison de leur objectif thérapeutique ; c'est pourquoi les interventions médicales à but purement esthétique n'en bénéficient pas et sont soumises à la TVA. On peut en dégager a contrario que c'est la nécessité impérieuse de protection du malade, bien au-delà de celle d'un consommateur ordinaire, qui détermine la frontière entre commerce et intervention thérapeutique sur la personne humaine. Le motif, c'est que le patient est entièrement à la merci du prestataire et de sa conscience comme de sa compétence. Son état de faiblesse rompt totalement l'équilibre nécessaire dans des échanges commerciaux. Dans certains cas d'urgence imposant le tri des malades, dans certaines hypothèses d'économies ou de disponibilités réduites d'équipements ou d'organes, on a vu le moment où se posera la question de savoir qui doit vivre et qui doit être abandonné. La possibilité de payer pourrait devenir le facteur de la décision dans la conception européenne commerciale de prestations des services médicaux.

Pour condamner l'exercice commercial de la médecine, il y a une autre raison qui est la protection du malade. Le médecin est le seul professionnel qui possède la permission de la loi de poser des actes entrant techniquement dans la définition de l'infraction de coups et blessures, dans la mesure où ils sont justifiés par l'autorisation d'exercer la profession, par le but thérapeutique de l'acte[5], et l'intérêt de la personne garanti par son consentement éclairé.

Au fur à mesure du développement des possibilités, qui paraissent illimitées, de la science et de la médecine, la conscience, au-delà des lois et des pratiques loyales du commerce, pourrait apparaitre comme l'ultime protection de l'Homme et prendre la place de toute autre référence. La non-commercialisation des soins appartiendrait alors à l'Ordre moral, qui interdit de profiter de la détresse, la peur et la faiblesse de quelqu'un pour s'enrichir à ses dépens.

L'intérêt du patient et de sa santé, sa protection contre l'esprit de lucre au détriment des soins pourrait dans cet ordre d'idées rester le critère déterminant le caractère altruiste ou commercial d'une profession parce qu'elle est consacrée à faire reculer le malheur et les souffrances et à lutter contre la mort. Mais pour combien de temps ? La société évolue. Un certain nombre de médecins des nouvelles générations proclament que le sacerdoce, c'est fini. La vision marchande universelle de l'UE est transposée dans les lois nationales. La maladie devient un grand marché où les soins se vendent, s'achètent et s'assurent et où la concurrence devient la panacée. Le médecin y trouvera peut-être son compte. Mais en sera-t-il de même pour le malade ?

[1]Edition Plon 1961, p45 et 46

[2] Id p137

[3] Kurt Pollack Les disciplines d'Hippocrate, Plon, 1965, p209

[4] Muriel Fabre-Magnan, La dignité en droit, Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 2007, 1, n°58

[5] Cor Bruxelles 22èch,27 septembre 1969. Depuis lors, les conceptions ont évolué dans la banalisation de la chirurgie de réattribution du sexe.

Le sujet est d'actualité parce qu'il s'inscrit dans une civilisation où les relations sont dominées par des règlements à vocation économique et où l'objectif de profit imprègne la société. La Directive européenne sur les marchés publiques vient d'en faire la démonstration en assujettissant à ses règles les prestations de santé, dès qu'elles sont effectuées à titre d'indépendant. Cela signifie qu'elles sont régies par les règles de la concurrence. Dans l'appel d'offres obligatoire, l'adjudication doit être attribuée à l'offre économiquement la plus avantageuse pour l'adjudicateur, par exemple l'hôpital qui veut offrir un poste à un médecin hospitalier, et non pour le malade comme le voulait l'éthique. Cela reviendrait pour l'hôpital à acheter le plus bas possible des services médicaux pour les revendre, ce qui entre typiquement dans l'activité commerciale. Nous avons fait valoir pour sortir le médecin des règles du marché que le statut particulier du médecin hospitalier répond plus aux caractères du service public qu'à ceux du commerceCe qui caractérise le caractère commercial, c'est l'objectif mercantile au détriment possible du client. L'historien américain, le docteur Howard W. Haggard[1] expliquait cette différence il y a soixante ans dans son livre "Démons, drogues et docteurs ". Il commentait alors l'attitude des trois générations d'accoucheurs de la famille Chamberlen qui ont gardé secrète à leur seul usage l'invention du forceps dès 1588 :"Un homme peut inventer un instrument pour le bénéfice de l'humanité et le vendre...tout en gardant le procédé secret ou le faisant protéger par un brevet...Ce n'est pas le cas dans le domaine médical...Un médecin qui trouve un moyen d'alléger les souffrances humaines ou de prolonger la vie rend ses découvertes publiques...Un tel processus n'est suivi dans aucune autre discipline. La médecine est née de la religion. Elle a conservé par bonheur dans ses principes un peu de la mystique du sacrifice de soi pour le soulagement des souffrances d'autrui, comportement qui doit paraître inconcevable et idiot à la plupart des commerçants et industriels".La question qui se pose c'est de savoir si la Société d'aujourd'hui, y compris les médecins, n'a pas dans son ensemble également trouvé stupide et en tout cas dépassée, cette assimilation de la médecine à un sacerdoce. Il est de fait que, dans toutes les civilisations, l'activité de faire reculer la mort et d'empêcher les souffrances, a été le fait de prêtres et que quelque chose en est resté à travers les âges. Quand Hippocrate, au 5 ème siècle avant JC, jette les bases d'une vraie médecine, il estime indispensable d'assortir cette approche d'un serment éthique adressé en liminaire aux dieux de la santé, Apollon, Esculape, Hygié et Panacée et tous les autres dieux et déesses, par prudence. Cette soumission connaîtra bien des vicissitudes pour se retrouver dans les monastères du Moyen âge où, comme dans les bibliothèques arabes, se transcrivaient et se traduisaient les écrits des médecins grecs. En attendant les progrès de la science, ils ont été les hospices ancêtres des hôpitaux, gardiens d'une thérapie de la Foi qui n'a jamais disparue. Deux mille ans après Hippocrate, Ambroise Paré invoque encore le caractère sacré de son acte, en soignant un capitaine de François Ier blessé d'un coup d'arquebuse à la bataille de Turin : "Je le pansais et Dieu l'a guéri". Cela n'a pas empêché, dans l'entretemps, les médecins de l'Empire romains soit d'être achetés comme esclaves par les familles, soit de pratiquer des honoraires pharamineux, sans s'interroger sur leur caractère sacré. En principe, le médecin agit gratuitement mais il reçoit en remerciements des cadeaux qui lui rendent hommage, c-à-d qui l'honorent. Il n'a pas fallu vingt siècles pour que les médecins réalisent qu'il était décevant de compter sur la reconnaissance du patient une fois guéri, même s'il était prêt à donner la moitié de sa fortune quand il avait peur. Les praticiens ont donc fixé la valeur de leurs prestations ou, si on préfère, de leur reconnaissance. Lors de la création de la première école de médecine à Salerne en 900, le Collegium Hippocraticum réunissant les médecins édicte ses règles éthiques inspirées de l'école de Cos mais colorées d' un réalisme digne du droit des obligations réciproques plus que de la religion : "L'administration de médicaments inutiles était permise, car sinon le patient aurait pu considérer qu'il n'en avait pas eu pour son argent. Si, après rétablissement, le patient manifestait de l'ingratitude, il était même conseillé de le rendre malade pour un petit bout de temps au moyen de quelque drogue bénigne "[2].Le médecin juif Isaac Judeus donne aux médecins un conseil qui a traversé les siècles : "Plus tu te montres exigeant dans les honoraires, plus les traitements que tu ordonneras paraitront miraculeux aux yeux de tes malades"[3].A partir du 19ème siècle, en même temps que progresse la médecine, son caractère humanitaire est remis au premier plan parce que les sociétés découvrent les abus possibles d'une médecine qui ne serait pas assujettie à l'Altruisme et à des valeurs transcendantales. En 1948, après la découverte des dérapages de la médecine sous le régime nazi, l'Association médicale mondiale a traduit le sentiment de toutes les associations médicales nationales : il était indispensable d'accompagner le pouvoir médical d'un cadre éthique fort. La charte d'Hippocrate désacralisée mais inchangée dans ses prescription fut transposée en serment de Genève. Celui- ci fut complété l'année suivante à Londres par le Code international d'éthique médicale qui proclame sans équivoque : "Le médecin ne peut jamais poser un acte médical motivé par le bénéfice personnel qu'il peut en retirer".Tous les Codes de déontologie s'en sont inspirés pour inscrire dans leurs préceptes l'interdiction de tout acte commercial. On y retrouve la condamnation de l'incitation ou sollicitation de prestation, la publicité, les ristournes et toute forme de dichotomie par des partages d'honoraires entre médecins ou avec des tiers et cocontractant s'ils ne sont justifiés par des prestations ou la récupération de frais engagés pour permettre au médecin de réaliser son acte. La défense des intérêts professionnels des médecins doit céder le pas devant les besoins des malades et la continuité des soins et les urgences doivent être assurées même en cas de grève. En Belgique, ces dispositions sont devenues légales à travers l'AR 78.Qu'est ce qui a donc changé dans l'exercice de la médecine qui en ferait une profession comme les autres ?La société change C'est la Société qui a changé. L'Assurance maladie obligatoire remboursant au patient ses dépenses ne modifiait pas fondamentalement la relation médecin- malade. La volonté de l'assureur de fixer les tarifs a ensuite ajouté un tiers commercial dans le dialogue singulier. L'introduction conventionnelle de conditions d'exercice a fait basculer le système dans un cadre juridique plus impératif que la déontologie. Plus récemment, ce cadre s'est coloré de dispositions commerciales, comme le lien prix-volume, ou l'obligation de prescription du médicament le moins cher s'imposant au médecin comme au malade et sortant pourtant du cadre strict d'une assurance. Dans ce dernier, le médecin serait en effet, resté libre de sa prescription et l'assureur libre de ne rembourser que le montant du médicament le moins cher quel que soit le choix. La loi a lié le médecin non à la liberté du patient de décider de son traitement, mais à l'objectif commercial de soutenir l'industrie du générique un peu boudé par les malades et de peser sur le marché du médicament. Demain, le paiement à la performance et les primes accroîtront cette culture du marché. Simultanément et, paradoxalement, les lois de 1986 et 1994 interdisent les cessions à titre lucratif d'organes de tissus et de cellules, de même que le prélèvement et la distribution de sang, principe largement battu en brèche dans d'autres pays et partout par un marché parallèle. Cette gratuité est contestée. D'aucuns font valoir que ce sont les préjugés sociaux qui fixent ce qui peut se vendre et s'acheter et que ces préjugés varient dans le temps et l'espace en fonction de l'évolution des valeurs. Pour d'autres, le respect de la personne et de son corps constituerait une valeur intrinsèque absolue et la marchandisation du corps y porterait atteinte. La dignité de la personne apparait comme l'axiome de l'Ordre juridique en tant que protection contre les dérives de l'individualisme et de l'égoïsme (Fabre Magnan)[4].La transplantation, depuis l'inscription sur la liste d'attente jusqu'à la décision d'attribution en passant par l'évaluation risque /bénéfice aux mains du médecin, pourrait facilement se régir par la loi de l'offre et de la demande au plus grand profit du transplanteur, si ce dernier était (ou quand il sera) commerçant. Elle reste pour l'instant une des activités les plus règlementées dans un souci éthique rigoureux.La protection du malade comme référenceEtant donnée la place prééminente donnée aujourd'hui à la volonté individuelle et à la propriété de chacun sur son corps, on peut supposer que ces fondements ne tiendront plus longtemps. Il faut chercher s'il y en a d'autres.L'exemption de la TVA dont jouissent les médecins, taxe éminemment commerciale, offre une approche. Sa non-application est strictement limitée, non pas aux prestations de soins par essence, mais en raison de leur objectif thérapeutique ; c'est pourquoi les interventions médicales à but purement esthétique n'en bénéficient pas et sont soumises à la TVA. On peut en dégager a contrario que c'est la nécessité impérieuse de protection du malade, bien au-delà de celle d'un consommateur ordinaire, qui détermine la frontière entre commerce et intervention thérapeutique sur la personne humaine. Le motif, c'est que le patient est entièrement à la merci du prestataire et de sa conscience comme de sa compétence. Son état de faiblesse rompt totalement l'équilibre nécessaire dans des échanges commerciaux. Dans certains cas d'urgence imposant le tri des malades, dans certaines hypothèses d'économies ou de disponibilités réduites d'équipements ou d'organes, on a vu le moment où se posera la question de savoir qui doit vivre et qui doit être abandonné. La possibilité de payer pourrait devenir le facteur de la décision dans la conception européenne commerciale de prestations des services médicaux.Pour condamner l'exercice commercial de la médecine, il y a une autre raison qui est la protection du malade. Le médecin est le seul professionnel qui possède la permission de la loi de poser des actes entrant techniquement dans la définition de l'infraction de coups et blessures, dans la mesure où ils sont justifiés par l'autorisation d'exercer la profession, par le but thérapeutique de l'acte[5], et l'intérêt de la personne garanti par son consentement éclairé. Au fur à mesure du développement des possibilités, qui paraissent illimitées, de la science et de la médecine, la conscience, au-delà des lois et des pratiques loyales du commerce, pourrait apparaitre comme l'ultime protection de l'Homme et prendre la place de toute autre référence. La non-commercialisation des soins appartiendrait alors à l'Ordre moral, qui interdit de profiter de la détresse, la peur et la faiblesse de quelqu'un pour s'enrichir à ses dépens.L'intérêt du patient et de sa santé, sa protection contre l'esprit de lucre au détriment des soins pourrait dans cet ordre d'idées rester le critère déterminant le caractère altruiste ou commercial d'une profession parce qu'elle est consacrée à faire reculer le malheur et les souffrances et à lutter contre la mort. Mais pour combien de temps ? La société évolue. Un certain nombre de médecins des nouvelles générations proclament que le sacerdoce, c'est fini. La vision marchande universelle de l'UE est transposée dans les lois nationales. La maladie devient un grand marché où les soins se vendent, s'achètent et s'assurent et où la concurrence devient la panacée. Le médecin y trouvera peut-être son compte. Mais en sera-t-il de même pour le malade ?[1]Edition Plon 1961, p45 et 46 [2] Id p137[3] Kurt Pollack Les disciplines d'Hippocrate, Plon, 1965, p209[4] Muriel Fabre-Magnan, La dignité en droit, Revue interdisciplinaire d'études juridiques, 2007, 1, n°58[5] Cor Bruxelles 22èch,27 septembre 1969. Depuis lors, les conceptions ont évolué dans la banalisation de la chirurgie de réattribution du sexe.