...

Le journal du Médecin : Comment se traduit la promotion de la santé dans une commune comme Bruxelles ?Philippe Close : Beaucoup peut être fait au niveau de la prévention. Bruxelles dispose d'un grand réseau scolaire. On peut agir sur l'obésité, par le biais d'une meilleure alimentation par exemple. À Bruxelles, des diététiciens avalisent nos repas scolaires et nous avons supprimé les sodas dans les écoles.Autres exemples, la Ville de Bruxelles prend chaque semaine des décisions qui vont améliorer la qualité du logement, promouvoir les économies d'énergie ou lutter contre la pollution. Cette dernière est une vraie priorité. Si l'utilisation des transports est en pleine mutation, c'est aussi pour des raisons de santé. Le plus gros mouvement citoyen, actuellement, au niveau de Bruxelles, est issu de parents désirant que le chemin de l'école soit moins pollué. C'est une vraie préoccupation populaire.Les fédérations parlent d'un décret, d'un budget à Bruxelles alloué à la promotion de la santé.C'est bien d'avoir un budget. Mais il faut mener des politiques systémiques. Il vaut mieux prévenir que guérir. Les politiques de santé doivent être menées de manière intégrée. Le préventif coûte bien moins cher que le curatif. Mais c'est un investissement dont les effets ne sont pas immédiats, il faut une volonté politique forte pour assumer le coût de cet investissement.Parlons de l'accès aux soins des plus précarisés. Le Samusocial joue un grand rôle dans cet accès, mais il a été fragilisé. Comment vous positionnez-vous par rapport à cela ?Un chiffre pour commencer : 40 % de l'aide médicale urgente du pays est fournie par le CPAS de Bruxelles. 60 % des personnes en fin de droits dépendent des CPAS de la Région bruxelloise. Le Samusocial fait un travail extraordinaire. Objectivement. C'est une institution qui ne doit pas disparaître. Nous comptons sur eux pour l'avenir. Nous travaillons actuellement avec le CHU Brugmann via une antenne de répit, afin de pouvoir garantir un suivi plus long sans devoir remettre les plus démunis dans la rue.Quel est votre rapport avec les hôpitaux, vous qui avez été président du réseau Iris ?Je suis rentré à l'Institut Bordet en 2002, d'abord comme administrateur et ensuite comme vice-président. C'est un hôpital auquel je suis très attaché, étant un des initiateurs de la reconstruction de Bordet sur le site d'Érasme. Au-delà de Bordet, j'ai été membre du CA de Brugmann et président du réseau Iris, avant de devenir parlementaire, et maintenant président du CHU de Bruxelles.Cela fait donc 16 ans que je suis au contact des hôpitaux. Les hôpitaux publics font partie de mon ADN politique. Les soins de santé, c'est un milieu dans lequel il y a bizarrement peu de personnalités politiques qui s'investissent. C'est extrêmement spécialisé. Il faut une connaissance législative assez poussée et en même temps une compréhension du management.Concernant Iris, c'est un dossier éminemment politique, dans le sens noble du terme. Quand vous regardez où en sont les hôpitaux de la ville, c'est impressionnant. On part en 1996 d'institutions dont on doute de la survie, et on crée une architecture institutionnelle extrêmement compliquée. Ma formation de départ est le droit constitutionnel et je peux vous dire qu'il n'y a pas plus complexe que développer un projet cohérent qui mêle autant de niveaux de pouvoir comme le bicom-munautaire, communal, CPAS, Régions, Fédéral, les universités.... Et pourtant, cela a marché. Tous les hôpitaux de notre réseau ont été reconstruits ou sont en cours, comme Bordet. Nous sommes passés d'une structure déficitaire à une structure qui est à l'équilibre, qui ne coûte plus rien à son actionnaire - la Ville de Bruxelles - et qui rapporte énormément à la collectivité. Pauvre ou riche, vous êtes soigné par les mêmes médecins. C'est ça, la spécificité des hôpitaux de la Ville : être des centres d'excellence accessibles à toute la population.Vous parliez de management. Quel est votre regard sur les affaires Hut (Brugmann) et De Meue (Huderf) ?Je suis arrivé à la présidence du CHUB il y a moins d'un an. Je ne vais pas parler des personnes, mais je vais vous expliquer la manière dont je fonctionne. J'ai trois grands principes : le sang-froid, la méthode et la détermination. Il faut du sang-froid, en tant que bourgmestre, pour gérer une telle structure. Il faut une méthode : ne pas agir sur des coups de tête, bien s'entourer. Enfin, ma détermination est totale pour assurer la pérennité de ces hôpitaux publics et garantir leur mission : soigner tout le monde.Côté management, certaines décisions étaient peut-être un peu dures. Maintenant, je dois regarder de l'avant, réparer ce qui peut l'être, mais garder le cap sans regarder dans le rétroviseur. Ce sont des moments de crise comme il peut y avoir dans toutes les grandes entreprises.Qu'en est-il du rapprochement entre le CHUB et Érasme ?Je suis parfois critique avec les décisions de Maggie De Block mais sur la question des réseaux hospitaliers, je pense qu'elle a raison. On l'a compris depuis plus de 20 ans avec le réseau Iris : mais aujourd'hui il faut aller une étape plus loin entre les hôpitaux universitaires de la ville et les hôpitaux académiques dépendant des universités.Cependant je vais être clair : je ne veux pas d'un développement des hôpitaux de la ville sans les hôpitaux Iris-sud. Je vais même être plus clair : ma volonté est de renforcer le réseau Iris. Selon moi, l'avenir des hôpitaux de la ville est lié aux hôpitaux publics d'Anderlecht, Etterbeek, Ixelles et Saint-Gilles tout autant qu'il est lié aux hôpitaux académiques. Ne cassons pas une machine qui gagne. Le réseau Iris fonctionne, tous ses hôpitaux ont un vrai avenir en commun avec chacun ses spécificités.Aujourd'hui, la priorité pour moi, c'est le rapprochement effectif entre Érasme et Bordet qui seront sur le même campus. 250 lits oncologiques vont ouvrir à côté de l'hôpital académique. L'enjeu, notamment pour la recherche en oncologie, est de sceller un accord de gouvernance et une stratégie commune entre Érasme et Bordet. Cela avance très bien.Quels sont les points d'attention que vous retenez des récentes réformes du Fédéral touchant la santé ?Tous les ministres de la Santé sont passés par des politiques d'assainissement. Le problème, ici, au-delà du milliard d'économie demandé par le Fédéral, c'est la brutalité et la non-concertation de la politique menée. Il faut faire attention, on atteint un point de rupture. Les hôpitaux publics bruxellois représentent près d'un milliard d'euros de budget (lire jdM N° 2537), 10.000 employés (le premier employeur de la Région devant la Stib). On ne peut pas faire bouger pareil paquebot, en deux mois. Un autre problème c'est l'absence de vision à long terme : les décisions récentes de limitation des RMN, de forfaitarisation des honoraires uniquement hospitaliers, de moratoire sur les reconversions de lits par exemple, me semblent de courte vue et ne motivent pas le secteur parce qu'elles manquent d'une vision globale.Autre point d'attention : le numerus clausus. Il s'agit pour moi d'une ineptie totale. C'est davantage une mauvaise protection d'une corporation qu'autre chose. On arrive à un paradoxe hallucinant : on impose par le haut une limitation du nombre de médecins belges et cela conduit au recrutement de médecins étrangers pour répondre au besoin. Ce mécanisme ne génère aucune économie et pourrait nuire à la qualité des soins. C'est complètement ridicule. Nous avons plein d'étudiants qui pourraient accéder à un diplôme de médecine sans que celui-ci soit au rabais. Pourquoi empêche-t-on des jeunes de choisir la carrière de leur choix ?L'examen d'entrée aux études de médecine avait justement lieu récemment.Les critères de sélection des étudiants sont hallucinants. Je ne comprends pas cette logique de croire que si l'on va former trop de médecins, on va faire exploser les soins de santé. C'est une vieille ritournelle du nord du pays. Je pense que c'est faux. Depuis 20 ans, on a démontré que c'était inexact... De plus, on arrive à un paradoxe hallucinant : on impose par le haut une limitation du nombre de médecins belges et cela conduit au recrutement de médecins étrangers pour répondre au besoin. C'est complètement ridicule. Nous avons plein d'étudiants qui pourraient accéder à un diplôme de médecine sans que celui-ci soit au rabais. Pourquoi leur interdire la carrière de leur choix ?Se limiter de la sorte, créer ce manque, alors que le recrutement est la première angoisse des conseils médicaux, ça ne va pas ! Souvent, on n'a pas le choix du personnel, et les discussions tournent autour du salaire. Ce n'est pas la bonne façon de gérer, objectivement.Le contact avec la première ligne, on en parle souvent, mais les actes peinent à suivre.C'est un vrai rendez-vous manqué. Cela fait 20 ans que l'on parle de cette première ligne. Le généraliste doit être le coeur du réseau de soins. C'est vrai qu'il faut faire un travail de promotion des généralistes. Nous devons réinstaurer le dialogue. La digitalisation doit contribuer à ce dialogue. C'est quelque chose que je désire promouvoir.Comment, en tant que président du CHUB ?Justement en intégrant les médecins généralistes à nos process. Avec la digitalisation, il y a des opportunités. Il faut une collaboration optimale entre spécialistes et généralistes. Il faut les inviter, les rencontrer, et développer, en somme, une vraie politique de marketing médical afin de promouvoir le rôle du médecin de famille y compris à l'hôpital. Notre système a poussé les spécialistes mais a un peu oublié les généralistes, qui sont le coeur du réacteur de nos réseaux de soins.Tout cela ne dépend pas que de vous.J'ai un principe : je ne cherche pas à me réfugier derrière la lasagne institutionnelle. Quand on est bourgmestre de Bruxelles, président d'hôpitaux publics, on ne peut pas se cacher derrière les autres. Cela ne sert à rien. J'assume ce qui est à mon niveau, et à moi de prendre les contacts. J'avoue avoir une très bonne collaboration avec la Région bruxelloise notamment sur la programmation des lits.Avec la Région, reconnaissons que la reconstruction des hôpitaux est une réussite. Autant dans le privé que dans le public. La Région bruxelloise peut se targuer d'être une des régions du monde les plus médicalisées, avec d'excellents médecins. Le tout avec des budgets à l'équilibre. C'est une belle réussite.Enfin, quels sont les axes santé que vous allez défendre lors des communales ?Le réseau de soins de santé fait partie de l'ADN de la Ville de Bruxelles. Je dis toujours que Bruxelles est une ville comme les autres à quatre exceptions près : c'est la capitale du pays, c'est le plus grand réseau scolaire, c'est la plus grande police du pays, et c'est le plus grand réseau hospitalier du pays.Le grand axe, c'est le rapprochement avec l'ULB et la VUB. Je veux soutenir les universités libres de Bruxelles. Il est important de rassembler nos forces et d'avancer sur le même chemin.