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En 1988, le Dr Cadière est témoin de l'intervention faite par un chirurgien français. Pour enlever une vésicule, ce dernier opère à l'aide de petites incisions grâce à une caméra. Pour le chirurgien belge, c'est le choc : il est évident que l'on ne doit pas ouvrir un ventre pour pouvoir l'explorer et opérer.À l'époque, l'homme sait qu'il est atteint d'une leucémie. " Je me suis fait greffer le jour de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989. J'ai juste eu le temps de voir cette opération avant d'entrer dans ma bulle. À ce moment-là, il n'y avait rien de très excitant dans la chirurgie digestive. On n'inventait rien. Il était plus excitant de faire du saxophone que de faire de la chirurgie, toutes proportions gardées. Mais l'idée d'opérer sans faire de laparotomie devint obsessionnelle. Je ne pensais qu'à ça. Après une période d'un mois et demi d'isolement - j'avais très peu de contacts avec l'extérieur - tout était inventé dans ma tête. "Le projet entre alors peu à peu au bloc opératoire. " Je commençais toutes mes interventions chirurgicales en laparoscopie. Et quand ça n'allait pas, je convertissais en laparotomie ", explique le chirurgien.Le hic, c'est que l'homme n'est pas chef de service. " J'ai passé un marché avec mon supérieur. Je commençais toutes les interventions en laparoscopie et lorsqu'il arrivait, il ouvrait. Jusqu'au jour où je lui ai dit 'vous pouvez ouvrir, mais l'intervention est finie.' "Toujours est-il que cela ne plaît pas à tout le monde. À l'époque, les chirurgiens prônent le dogme du " grand chirurgien, grande incision ", et ils sont circonspects quant à l'apport de cette nouvelle méthode. " Je n'ai pas été mis à la porte, mais je n'ai pas été renouvelé. Et c'est comme ça que je suis arrivé à l'hôpital Saint-Pierre, avec un concours de circonstance incroyable - le suicide du chef de service de gastro-entérologie - qui m'a propulsé à la tête du service. "Cela peut paraître incroyable, mais la leucémie n'est pas un mauvais souvenir pour le Dr Cadière, c'est plutôt une opportunité. " Ma vie était un long fleuve tranquille jusqu'à cette rupture. C'est là que les choses sont devenues intéressantes. Notamment au niveau du combat pour la laparoscopie. Toujours aujourd'hui, quand je vois le nombre de chirurgies du côlon qui sont faites en ouvrant, c'est un non-sens absolu ! Le combat n'est pas terminé. "Le chirurgien n'arrive pas à imposer la laparoscopie dans tous les domaines, par exemple dans le traitement chirurgical des cancers de l'oesophage ou du foie. " Je réalise ces interventions partout dans le monde, mais pas en Belgique. La laparoscopie permet pourtant de limiter les adhérences et permet un nombre accru d'interventions de jour, ou en tout cas d'écourter le séjour. " Ce qui permet, in fine, des économies. " D'autant plus que le nombre de réadmissions est extrêmement faible. "Depuis 4 ans, le chirurgien est professeur à l'ULB. Ses premiers cours sont centrés sur l'évolution de la chirurgie à travers les âges. " C'est très simple. Pendant tout un temps, la chirurgie ne s'est pas développée à cause de la douleur des interventions, de l'infection, et du choc opératoire. " Ce n'est finalement qu'il y a une centaine d'années que ces trois paramètres ont pu être domptés. " Les évolutions ont permis des interventions maximales invasives. Tout d'un coup, on pouvait endormir le patient, faire de longues interventions tout en maîtrisant l'infection. Depuis 1990, on observe cependant le mouvement inverse, avec la venue de chirurgies minimales invasives. "Le moteur du Dr Cadière est donc d'insuffler l'envie à ses élèves de pratiquer une chirurgie minimale invasive. " Mon rôle n'est pas de remplir un vase. Si je demande à mes étudiants ce qu'est l'acétylcoenzyme, et que j'attends une minute, ils savent tous me répondre. Ils ont tous leur portable, ils font une recherche et ils ont la définition. C'est comme s'ils vivaient dans une bibliothèque. Mon rôle est plutôt d'allumer le feu. Ils comprennent très bien que l'on va évoluer vers une chirurgie minimale invasive qui sera aussi efficace que la chirurgie maximale invasive. "L'avantage de la chirurgie minimale invasive est de permettre des économies. En parfait accord avec la volonté du Fédéral de raccourcir les séjours hospitaliers.Le Dr Cadière, également à la tête de la Clinique de l'obésité du CHU St-Pierre, suit cette mouvance. Dans le nouveau trajet de soins, les patients iront à la clinique comme à l'hôtel : ils viendront avec leur valise dans une chambre individuelle, se prépareront, et repartiront le lendemain de l'opération. " Mais l'hôpital n'est pas un hôtel. Ils ne doivent pas rester un jour de plus si ce n'est pas nécessaire ", nuance le chirurgien. " L'avenir, pour moi, ce sont de petits hôpitaux avec un système extrêmement complexe et technique au niveau du bloc opératoire. Il faut arrêter de faire des mammouths, cela ne sert à rien. Parce que l'hospitalisation va fondre. Tout va se passer en ambulatoire avec un ou deux jours d'hospitalisation. "