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Trois définitions.- La clinique est l'art de recentrer l'action médicale et soignante sur la personne malade.- La technique est l'art d'utiliser des outils fondés sur des modèles prédictifs. Le médecin " technicien " doit évidemment prendre en compte les singularités de chaque malade. La médecine de précision a pour objectif de répondre à cette contrainte. Elle vaut non seulement pour la génétique, mais pour toutes les techniques sophistiquées, invasives ou non. Il y a donc une composante clinique dans la technique.- La politique est le choc des égos, rarement positif, souvent négatif, mais seul recours possible quand les circonstances défient les savoirs et les règles bien établies. Alors, la créativité relationnelle intervient bien plus que les compétences techniques ou juridiques. Les caractères et les personnalités forment le socle de tout leadership, un socle mouvant, intraduisible en science définitive.Curieusement, clinique et politique ont en commun l'art d'écouter, de dialoguer, de négocier. Car en ces temps d' "empowerment", la prise en charge du malade n'est plus unilatérale, paternaliste ou autoritaire. Le patient qui se veut autonome se prend en charge lui-même et le fait savoir. Alors, la fibre clinique se tend et le médecin, toutes proportions gardées, se trouve dans la même position qu'un leader qui doit convaincre du bien-fondé de ses propositions ou les ajuster. La différence entre le " pouvoir médical " et le pouvoir politique se situe dans le toutes proportions gardées, dans l'effet de groupe. Les médecins prennent leurs décisions à la toute petite échelle des contacts entre individus tandis que les " politiques " opèrent sur des groupes ou, pour les ministres et autres professionnels, sur toute la société.La clinique serait donc aux malades comme la politique aux citoyens? Surprenant constat, pour ne pas dire choquant ! Car les enquêtes de satisfaction mettent les médecins au plus haut et les politiques au plus bas. Mais alors, pourquoi les généralistes, cliniciens par essence, ont-ils l'impression que leur influence est nulle et que les syndicats les défendent moins bien que les spécialistes ? Ils oublient que les spécialités mobilisent tant de moyens techniques et tant de métiers, que beaucoup de groupes les soutiennent. Pourtant, les spécialistes aussi se plaignent de ne pas être entendus par les politiques.Pour conclure, un sentiment d'impuissance traverse toute la profession. Les médecins ne se sentent plus défendus par leurs syndicats et tendent à se replier en disciplines et sous-disciplines. A moins de 0.5 % de la population, que faire pour vraiment peser sur les grandes orientations des soins de santé ? Cesser de creuser le clivage entre généralistes et spécialistes, reconnaître que la fibre clinique traverse tout le corps médical et que les généralistes doivent en jouer partout, et peut-être même surtout, auprès des spécialistes en participant chaque fois que possible aux décisions concernant leurs patients hospitalisés. Cela suppose qu'à l'hôpital aussi, la clinique reprenne du poil de la bête.Reste à savoir où débattre de ces questions entre médecins de toutes pratiques et de tous âges. Je suis rentré à l'ABSYM-BVAS il y a plus de 40 ans, et les propositions de textes et d'exposés du jeune clampin que j'étais ont été soumises à débats sans réticences. L'ABSYM-BVAS reste un des rares lieux où des médecins généralistes et spécialistes de toutes les générations peuvent se parler entre eux, d'égal à égal, de leur formidable métier. Jean Creplet