Dans le Nouvel Agenda pour le développement durable, la " Communauté internationale " a adopté 17 objectifs qui placent la santé au coeur des préoccupations. Pour atteindre cet objectif, l'OMS a calculé qu'il faudrait former et engager 18 millions de professionnels de santé de tout niveau d'ici 2030 dans le monde entier. L'Organisation estime en effet que la désorganisation et le mauvais état des services de santé dans les pays en voie de développement sont dus à une pénurie de personnel.

Pour former ces personnels et améliorer la qualité et l'offre de soins, les universités et hautes écoles jouent un rôle déterminant. D'où l'objet (très académique) du colloque qui a rassemblé pendant deux jours à Bruxelles (site Erasme de l'ULB) des spécialistes francophones du monde entier : " La contribution des établissements d'enseignement supérieur et de recherche de l'espace francophone à l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques de santé publique ".

Burkina en voie d'explosion

La Pr Dominique Kerouedan, fondatrice de la spécialisation Global Health à Sciences Po Paris, dans sa lecture inaugurale, n'y est pas allée par quatre chemins. " De Dakar à Djibouti, dans le Sahel, on assiste à des pratiques des plus violentes à l'égard des filles et des femmes qui ont besoin de l'accord d'un homme, parfois leur fils, pour accéder aux soins. Le Burkina Faso est en voie d'explosion. Le Sahel souffre de trafics de fillettes, de drogue, de faux médicaments... Le Niger, notamment, affiche un taux de fécondité énorme entraînant une démographie galopante alors que beaucoup de mères meurent encore en couche de complications et qu'on a du mal à s'occuper des nouveau-nés... Le Sahel est aussi une région magnifique dont la noblesse est pervertie... Si les malades du sida y bénéficient d'une thérapie, il n'y a parfois pas de médicaments pour les diabétiques, les insuffisants cardiaques et pas de possibilité d'une césarienne. "

Statistiques hors-sol

Comment mener une politique de santé publique notamment au Sahel, en Haïti, à Madagascar et même dans le Maghreb, alors qu'on ne dispose pas de statistiques fiables et que ces pays sont traversés par la violence et la misère ? Question essentielle posée par Mme Kerouedan qui souligne que les chiffres relatifs à la santé sont souvent éloignés de la réalité. " Les services de santé se nourrissent de statistiques fournies par les Agences mondiales. On fabrique des données. L'épidémiologie y est méprisée. On instrumentalise la science par le politique conduisant à un irréalisme politique hors-sol. Seuls les morts figurent dans les statistiques, pas les vivants. Les universités interprètent des chiffres tronqués qui mènent à la mort de la science. " Aucune tentative d'anticipation des enjeux de santé dans ce contexte n'est possible. Des experts à court terme nommés par le politique ne font pas de missions sur place...

Alors que le réchauffement climatique menace des populations entières, la démographie galopante provoque promiscuité propice aux pandémies et désaffection des personnels de santé... Le Nord, riche, est sourd aux problèmes du sud pauvre et aveugle au savoir africanisé. " En cinq siècles, le Collège de France n'a accueilli qu'un seul professeur africain. Les penseurs africains ne sont pas écoutés... "

Heureusement, l'espoir fait vivre.

Au Sénégal, Elie-Claude Ndjitoyap Ndam, directeur général de l'hôpital de Yaoundé et professeur à la Faculté de médecine, rappelle que le premier obstacle au Sénégal est l'accès aux soins de première nécessité et aux traitements pour des pathologies les plus banales. Il faut, dit-il, un plan en cinq axes : infrastructure, matériel adéquat, financement, technologie et ressources humaines. La formation continue y est presque inexistante rendant les savoirs rapidement obsolètes. Par manque de médecins, la délégation par exemple de la vaccination à du personnel plus subalterne est indispensable. Dans les campagnes, les matrones accouchent la plupart des bébés, en l'absence d'obstétriciens. Le personnel non médical formé à certaines tâches est indispensable pour les périodes de pandémie comme armée de réserve.

Importance de l'université

En Haïti, explique Vladimir Larsen, spécialiste en sciences de la santé au ministère de la Santé, pour 11 millions d'habitants et 27.000 km2 environ, on dispose de 18 facultés de médecine et 74 écoles d'infirmières. La formation ne répond pas aux besoins de la population. 80 % des professionnels de santé quittent l'île pour exercer ailleurs, notamment aux États-Unis, un autre métier. L'offre de soins doit impérativement toucher l'ensemble de la population dans toutes les régions du pays. Il faut mieux définir et standardiser le profil des diplômés. Les plateaux techniques doivent couvrir les différents services.

Au Maroc non plus, il n'y a pas suffisamment d'adéquation entre formation des soignants et besoins de la population, estime Fatima Dehbi, doyenne de la Faculté des sciences et techniques de santé à l'université Mohammed VI de Casablanca. Pédiatre de formation, elle aspire à un " pont des savoirs " entre médecins, ingénieurs bio-médicaux et écoles de santé publique pour les infirmières. Face, là aussi, à la poussée démographique, il faut une approche collaborative et multidisciplinaire via un tronc commun aux médecins, infirmiers, sagefemmes, nutritionnistes, etc. Mme Dehbi plaide pour un investissement massif sur la petite enfance. Au plus tôt le mieux. Il faut améliorer le niveau de formation des professionnels de santé, créer des profils intermédiaires entre médecins et kinés, médecins et infirmières. Seule la recherche peut faire évoluer ces métiers et donc il faut créer des doctorats et stimuler des thèses. L'enseignement digitalisé en ligne permet de toucher de petits groupes d'étudiants... L'adjectif " académique " (plutôt que " universitarisant ") n'est pas une insulte... Oui : les universités sont la clé du savoir, dit-elle.

Patient partenaire

Taha Zinalabidine, médecin inspecteur général du ministère de la Santé tunisien, fait un plaidoyer qui intéressera les organisations étudiantes belges pour la mise en place de l'Observatoire des pays de l'Espace francophone en matière de démographie médicale, de disparité régionale et de l'émergence de maladies nouvelles pour une meilleure gestion des risques. Ce, dans le but de diminuer le glissement démographique, le déséquilibre territorial des pays de l'espace francophone qui permette ainsi de combattre les inégalités de santé et d'adapter le système de santé aux besoins des patients.

Avant-gardiste en bon Québécois, André Néron, qui collabore depuis sept mois à l'Ecole de santé publique de l'ULB et qui dirige le Bureau partenariat patient, met des mots sur ce fameux anglicisme " empowerment " du patient. Pour lui qui souffre de trois maladies chroniques (qu'il ne détaillera pas), le patient partenaire des professionnels de soins n'est pas un vain mot. " Je ne veux pas qu'on travaille AUTOUR de moi, le patient, mais AVEC moi. Je sais ce que j'ai comme maladie mais ce sont les médecins qui ont l'expertise pour me soulager et me guérir ! " Il ne faut pas confondre les rôles mais pas non plus soigner le patient du haut de son empyrée, en somme... Le professeur canadien a déjà calculé que 50 % de la population belge souffre d'une maladie chronique et que trois millions d'entre nous négligent l'observance thérapeutique. Il y a là un chantier immense dans un pays pourtant développé et qui prétend posséder un des meilleurs systèmes de santé du monde.

" Déclaration de Bruxelles "

Les représentants d'établissements de recherche et d'enseignement supérieur et décideurs en santé publique de l'espace francophone mondial réunis à l'initiative de l'Agence universitaire de la francophonie (AUF) à l'ULB Erasme :

affirment la nécessité d'un espace francophone pour les établissements d'enseignement supérieur et les réseaux professionnels dont l'expertise en santé publique est reconnue ;

reconnaissent la nécessité d'une formation et d'une recherche en santé publique globale et inter-disciplinaire;

rappellent partager un ensemble de valeurs communes sous-tendu par les principes fondamentaux et universels des droits humains telles que l'éthique, l'équité et la durabilité ;

soulignent la nécessité pour les médecins, para-médicaux et décideurs en santé, d'être formés aux technologies numériques;

souhaitent la mobilité des enseignants, chercheurs et étudiants à l'intérieur de l'espace francophone et au-delà ;

souhaitent faire de l'espace francophone une référence mondiale en matière de politiques efficientes de santé publique centrées sur les besoins du patient.

Dans le Nouvel Agenda pour le développement durable, la " Communauté internationale " a adopté 17 objectifs qui placent la santé au coeur des préoccupations. Pour atteindre cet objectif, l'OMS a calculé qu'il faudrait former et engager 18 millions de professionnels de santé de tout niveau d'ici 2030 dans le monde entier. L'Organisation estime en effet que la désorganisation et le mauvais état des services de santé dans les pays en voie de développement sont dus à une pénurie de personnel.Pour former ces personnels et améliorer la qualité et l'offre de soins, les universités et hautes écoles jouent un rôle déterminant. D'où l'objet (très académique) du colloque qui a rassemblé pendant deux jours à Bruxelles (site Erasme de l'ULB) des spécialistes francophones du monde entier : " La contribution des établissements d'enseignement supérieur et de recherche de l'espace francophone à l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques de santé publique ".La Pr Dominique Kerouedan, fondatrice de la spécialisation Global Health à Sciences Po Paris, dans sa lecture inaugurale, n'y est pas allée par quatre chemins. " De Dakar à Djibouti, dans le Sahel, on assiste à des pratiques des plus violentes à l'égard des filles et des femmes qui ont besoin de l'accord d'un homme, parfois leur fils, pour accéder aux soins. Le Burkina Faso est en voie d'explosion. Le Sahel souffre de trafics de fillettes, de drogue, de faux médicaments... Le Niger, notamment, affiche un taux de fécondité énorme entraînant une démographie galopante alors que beaucoup de mères meurent encore en couche de complications et qu'on a du mal à s'occuper des nouveau-nés... Le Sahel est aussi une région magnifique dont la noblesse est pervertie... Si les malades du sida y bénéficient d'une thérapie, il n'y a parfois pas de médicaments pour les diabétiques, les insuffisants cardiaques et pas de possibilité d'une césarienne. "Comment mener une politique de santé publique notamment au Sahel, en Haïti, à Madagascar et même dans le Maghreb, alors qu'on ne dispose pas de statistiques fiables et que ces pays sont traversés par la violence et la misère ? Question essentielle posée par Mme Kerouedan qui souligne que les chiffres relatifs à la santé sont souvent éloignés de la réalité. " Les services de santé se nourrissent de statistiques fournies par les Agences mondiales. On fabrique des données. L'épidémiologie y est méprisée. On instrumentalise la science par le politique conduisant à un irréalisme politique hors-sol. Seuls les morts figurent dans les statistiques, pas les vivants. Les universités interprètent des chiffres tronqués qui mènent à la mort de la science. " Aucune tentative d'anticipation des enjeux de santé dans ce contexte n'est possible. Des experts à court terme nommés par le politique ne font pas de missions sur place...Alors que le réchauffement climatique menace des populations entières, la démographie galopante provoque promiscuité propice aux pandémies et désaffection des personnels de santé... Le Nord, riche, est sourd aux problèmes du sud pauvre et aveugle au savoir africanisé. " En cinq siècles, le Collège de France n'a accueilli qu'un seul professeur africain. Les penseurs africains ne sont pas écoutés... "Heureusement, l'espoir fait vivre.Au Sénégal, Elie-Claude Ndjitoyap Ndam, directeur général de l'hôpital de Yaoundé et professeur à la Faculté de médecine, rappelle que le premier obstacle au Sénégal est l'accès aux soins de première nécessité et aux traitements pour des pathologies les plus banales. Il faut, dit-il, un plan en cinq axes : infrastructure, matériel adéquat, financement, technologie et ressources humaines. La formation continue y est presque inexistante rendant les savoirs rapidement obsolètes. Par manque de médecins, la délégation par exemple de la vaccination à du personnel plus subalterne est indispensable. Dans les campagnes, les matrones accouchent la plupart des bébés, en l'absence d'obstétriciens. Le personnel non médical formé à certaines tâches est indispensable pour les périodes de pandémie comme armée de réserve.En Haïti, explique Vladimir Larsen, spécialiste en sciences de la santé au ministère de la Santé, pour 11 millions d'habitants et 27.000 km2 environ, on dispose de 18 facultés de médecine et 74 écoles d'infirmières. La formation ne répond pas aux besoins de la population. 80 % des professionnels de santé quittent l'île pour exercer ailleurs, notamment aux États-Unis, un autre métier. L'offre de soins doit impérativement toucher l'ensemble de la population dans toutes les régions du pays. Il faut mieux définir et standardiser le profil des diplômés. Les plateaux techniques doivent couvrir les différents services.Au Maroc non plus, il n'y a pas suffisamment d'adéquation entre formation des soignants et besoins de la population, estime Fatima Dehbi, doyenne de la Faculté des sciences et techniques de santé à l'université Mohammed VI de Casablanca. Pédiatre de formation, elle aspire à un " pont des savoirs " entre médecins, ingénieurs bio-médicaux et écoles de santé publique pour les infirmières. Face, là aussi, à la poussée démographique, il faut une approche collaborative et multidisciplinaire via un tronc commun aux médecins, infirmiers, sagefemmes, nutritionnistes, etc. Mme Dehbi plaide pour un investissement massif sur la petite enfance. Au plus tôt le mieux. Il faut améliorer le niveau de formation des professionnels de santé, créer des profils intermédiaires entre médecins et kinés, médecins et infirmières. Seule la recherche peut faire évoluer ces métiers et donc il faut créer des doctorats et stimuler des thèses. L'enseignement digitalisé en ligne permet de toucher de petits groupes d'étudiants... L'adjectif " académique " (plutôt que " universitarisant ") n'est pas une insulte... Oui : les universités sont la clé du savoir, dit-elle.Taha Zinalabidine, médecin inspecteur général du ministère de la Santé tunisien, fait un plaidoyer qui intéressera les organisations étudiantes belges pour la mise en place de l'Observatoire des pays de l'Espace francophone en matière de démographie médicale, de disparité régionale et de l'émergence de maladies nouvelles pour une meilleure gestion des risques. Ce, dans le but de diminuer le glissement démographique, le déséquilibre territorial des pays de l'espace francophone qui permette ainsi de combattre les inégalités de santé et d'adapter le système de santé aux besoins des patients.Avant-gardiste en bon Québécois, André Néron, qui collabore depuis sept mois à l'Ecole de santé publique de l'ULB et qui dirige le Bureau partenariat patient, met des mots sur ce fameux anglicisme " empowerment " du patient. Pour lui qui souffre de trois maladies chroniques (qu'il ne détaillera pas), le patient partenaire des professionnels de soins n'est pas un vain mot. " Je ne veux pas qu'on travaille AUTOUR de moi, le patient, mais AVEC moi. Je sais ce que j'ai comme maladie mais ce sont les médecins qui ont l'expertise pour me soulager et me guérir ! " Il ne faut pas confondre les rôles mais pas non plus soigner le patient du haut de son empyrée, en somme... Le professeur canadien a déjà calculé que 50 % de la population belge souffre d'une maladie chronique et que trois millions d'entre nous négligent l'observance thérapeutique. Il y a là un chantier immense dans un pays pourtant développé et qui prétend posséder un des meilleurs systèmes de santé du monde.