En médecine générale, nous connaissons les forfaits dits de pratique, payant tout ce qui est non directement lié à une activité au bénéfice d'un malade bien défini : les forfaits visant à encourager l'usage des moyens électroniques de transmissions de données médicales et la constitution du dossier médical, ou le forfait global recouvrant toute l'activité tel qu'on le connaît dans les maisons médicales. En médecine spécialisée, la ministre veut introduire des forfaits d'honoraires médicaux pour les séjours hospitaliers concernant des pathologies dites à basse variabilité. Elle envisage aussi des forfaits se présentant sous forme d'un " bundled payment ". Le contenu même de l'ensemble des prestations couverts par le forfait peut donc varier d'une situation à l'autre ou d'un type de prestataire à l'autre.

Le sujet mérite quelques observations et réflexions.

Définir le périmètre du forfait

Tout d'abord le forfait est défini, après des consultations dont l'ampleur peut être variable, par celui qui paie l'activité concernée. Il est élaboré en règle générale par des experts, désignés par l'Autorité payante, et rassemblant des économistes, parfois des universitaires, et quelques prestataires de terrain soigneusement choisis. La difficulté est bien entendu de définir le périmètre du forfait et ses paramètres constitutifs qui sont la base de référence. Les paramètres peuvent être assez simples comme quand on considère que le prix d'une consultation médicale est un montant forfaitaire, dans la mesure où ni la durée ni le contenu de la consultation ne sont définis plus avant, et que le prix est le même quel que soit le contenu même de l'acte visé.

Par ailleurs, le forfait peut aussi couvrir l'ensemble de l'activité d'une journée ou d'une demi-journée, ou inclure les dépenses induites par la prescription de médicaments ou d'actes diagnostiques ou thérapeutiques même si ces services sont fournis par d'autres prestataires de soins. Le forfait des maisons médicales est directement lié au profil social des patients inscrits, ce profil étant corrélé à la consommation historique de soins qui est supposée traduire les besoins du patient.

Nécessité du contrôle

L'ensemble des paramètres du forfait est censé refléter l'exercice d'une " bonne pratique ", effectuée par un médecin " normal, moyen, de référence ". Idéalement ce forfait est évolutif dans le temps, puisque les modèles de pratique peuvent changer, et doit être par conséquent régulièrement soumis à révision. Là aussi il est évidemment fait appel à des experts. La difficulté est de pouvoir en temps utile et sans trop de délais introduire dans le montant forfaitaire les innovations, soit de traitement, soit de technologie qui surviennent dans le monde de la pratique courante.

Un autre aspect du forfait est la nécessité de contrôle. Dans une médecine payée " à l'acte ", le contrôle porte plus sur le volume des actes que sur l'opportunité de les exécuter, encore qu'il y ait une évolution dans ce domaine. Dans le forfait, le contrôle est à ce jour quasi inexistant, mais se matérialise quand même au travers de la création de mécanismes sanctionnants, soit sous forme d'incitants, positifs ou négatifs, à effectuer un certain nombre d'actes liés à la prestation principale, soit qu'on vise à corriger les effets du nombre jugé excessif des forfaits attestés. Donc le principe de contrôle est constamment assorti du principe secondaire de sanction, le contrôleur et le sanctionneur étant la même personne juridique ou administrative. Les sanctions étant de nature dite administrative ne font l'objet d'aucun débat contradictoire, et d'aucune représentation du défendeur puisqu'il s'agit là de l'exécution de dispositions administratives connues du prestataire, et non du jugement d'un tribunal.

Conflit éthique

On comprendra aisément que peut se poser la question de la survenance d'un conflit éthique en la matière puisque le forfait, définissant le contenu de l'activité à effectuer, limite de facto la liberté de choix diagnostique et thérapeutique qui historiquement était laissée au médecin. Le forfait passe sous silence l'information à délivrer au patient quant au contenu du forfait (il suffit de se rappeler les mésaventures des HMO aux États-Unis, où la forfaitarisation est accompagnée de l'interdiction de révéler au malade le fait qu'un certain nombre de prestations parfois jugées essentielles ne sont pas incluses dans le forfait). Le forfait ignore superbement le fait que les médecins ne se trouvent jamais devant un patient " normal, moyen, de référence ".

On comprendra tout aussi aisément que si les prestations à l'acte comportent un risque de surconsommation abusive ou non, les systèmes forfaitaires, moins transparents, incitent à consommer le moins possible de ressources.

Se pose alors la question de la responsabilité du médecin praticien : s'exerce-t-elle vis-à-vis du patient comme dans les systèmes de paiement à l'acte où l'engagement réciproque entre deux individus est l'objet d'un contrat qui présume que tout est fait pour le bien du patient ? Dans le système forfaitaire, la responsabilité médicale classique - pénale et civile, déontologique - est inchangée. Mais sa portée est limitée par le respect des conditions d'exercice et d'usage définies par l'autorité. Elle devient le respect d'un devoir d'obéissance ou de soumission à l'autorité administrative.

Volumes définis par l'autorité

Il faudra donc que les médecins comprennent bien que l'adhésion à des systèmes forfaitaires impliquent de facto que le contenu de leur pratique et leur volume d'activité sont définis par l'autorité, que leurs libertés essentielles sont réduites, mises entre parenthèses ou solidement menacées, et qu'opter pour le forfait signifie aussi accepter d'être soumis aux prescrits de la tutelle.

Il ne faut pas perdre de vue que la motivation première des régulateurs est de nature budgétaire, et que tout forfait, aussi " innocent " soit-il au début, est rapidement alourdi par des règles administratives et des obligations liées à la pratique de plus en plus contraignantes dès qu'il apparaît que l'orthodoxie budgétaire n'est pas, ou plus, respectée : obligation d'enregistrement et d'utilisation de moyens informatiques (même si le système connaît encore de nombreux bugs), seuils d'activité organisant l'exclusion de prestataires, etc.

Là est une des questions essentielles à l'exercice médical pour les dix années à venir. Chaque médecin devrait réfléchir à ce modèle d'évolution, et se positionner à cet égard. En particulier, les élections syndicales de juin seront déterminantes, les syndicats médicaux ayant sur le sujet des opinions divergentes, et promouvant soit une médecine à l'acte avec des forfaits sélectifs, soit le forfait élargi, soit le tout forfait avec quelques exceptions.

En médecine générale, nous connaissons les forfaits dits de pratique, payant tout ce qui est non directement lié à une activité au bénéfice d'un malade bien défini : les forfaits visant à encourager l'usage des moyens électroniques de transmissions de données médicales et la constitution du dossier médical, ou le forfait global recouvrant toute l'activité tel qu'on le connaît dans les maisons médicales. En médecine spécialisée, la ministre veut introduire des forfaits d'honoraires médicaux pour les séjours hospitaliers concernant des pathologies dites à basse variabilité. Elle envisage aussi des forfaits se présentant sous forme d'un " bundled payment ". Le contenu même de l'ensemble des prestations couverts par le forfait peut donc varier d'une situation à l'autre ou d'un type de prestataire à l'autre.Le sujet mérite quelques observations et réflexions.Tout d'abord le forfait est défini, après des consultations dont l'ampleur peut être variable, par celui qui paie l'activité concernée. Il est élaboré en règle générale par des experts, désignés par l'Autorité payante, et rassemblant des économistes, parfois des universitaires, et quelques prestataires de terrain soigneusement choisis. La difficulté est bien entendu de définir le périmètre du forfait et ses paramètres constitutifs qui sont la base de référence. Les paramètres peuvent être assez simples comme quand on considère que le prix d'une consultation médicale est un montant forfaitaire, dans la mesure où ni la durée ni le contenu de la consultation ne sont définis plus avant, et que le prix est le même quel que soit le contenu même de l'acte visé. Par ailleurs, le forfait peut aussi couvrir l'ensemble de l'activité d'une journée ou d'une demi-journée, ou inclure les dépenses induites par la prescription de médicaments ou d'actes diagnostiques ou thérapeutiques même si ces services sont fournis par d'autres prestataires de soins. Le forfait des maisons médicales est directement lié au profil social des patients inscrits, ce profil étant corrélé à la consommation historique de soins qui est supposée traduire les besoins du patient.L'ensemble des paramètres du forfait est censé refléter l'exercice d'une " bonne pratique ", effectuée par un médecin " normal, moyen, de référence ". Idéalement ce forfait est évolutif dans le temps, puisque les modèles de pratique peuvent changer, et doit être par conséquent régulièrement soumis à révision. Là aussi il est évidemment fait appel à des experts. La difficulté est de pouvoir en temps utile et sans trop de délais introduire dans le montant forfaitaire les innovations, soit de traitement, soit de technologie qui surviennent dans le monde de la pratique courante.Un autre aspect du forfait est la nécessité de contrôle. Dans une médecine payée " à l'acte ", le contrôle porte plus sur le volume des actes que sur l'opportunité de les exécuter, encore qu'il y ait une évolution dans ce domaine. Dans le forfait, le contrôle est à ce jour quasi inexistant, mais se matérialise quand même au travers de la création de mécanismes sanctionnants, soit sous forme d'incitants, positifs ou négatifs, à effectuer un certain nombre d'actes liés à la prestation principale, soit qu'on vise à corriger les effets du nombre jugé excessif des forfaits attestés. Donc le principe de contrôle est constamment assorti du principe secondaire de sanction, le contrôleur et le sanctionneur étant la même personne juridique ou administrative. Les sanctions étant de nature dite administrative ne font l'objet d'aucun débat contradictoire, et d'aucune représentation du défendeur puisqu'il s'agit là de l'exécution de dispositions administratives connues du prestataire, et non du jugement d'un tribunal.On comprendra aisément que peut se poser la question de la survenance d'un conflit éthique en la matière puisque le forfait, définissant le contenu de l'activité à effectuer, limite de facto la liberté de choix diagnostique et thérapeutique qui historiquement était laissée au médecin. Le forfait passe sous silence l'information à délivrer au patient quant au contenu du forfait (il suffit de se rappeler les mésaventures des HMO aux États-Unis, où la forfaitarisation est accompagnée de l'interdiction de révéler au malade le fait qu'un certain nombre de prestations parfois jugées essentielles ne sont pas incluses dans le forfait). Le forfait ignore superbement le fait que les médecins ne se trouvent jamais devant un patient " normal, moyen, de référence ".On comprendra tout aussi aisément que si les prestations à l'acte comportent un risque de surconsommation abusive ou non, les systèmes forfaitaires, moins transparents, incitent à consommer le moins possible de ressources.Se pose alors la question de la responsabilité du médecin praticien : s'exerce-t-elle vis-à-vis du patient comme dans les systèmes de paiement à l'acte où l'engagement réciproque entre deux individus est l'objet d'un contrat qui présume que tout est fait pour le bien du patient ? Dans le système forfaitaire, la responsabilité médicale classique - pénale et civile, déontologique - est inchangée. Mais sa portée est limitée par le respect des conditions d'exercice et d'usage définies par l'autorité. Elle devient le respect d'un devoir d'obéissance ou de soumission à l'autorité administrative.Il faudra donc que les médecins comprennent bien que l'adhésion à des systèmes forfaitaires impliquent de facto que le contenu de leur pratique et leur volume d'activité sont définis par l'autorité, que leurs libertés essentielles sont réduites, mises entre parenthèses ou solidement menacées, et qu'opter pour le forfait signifie aussi accepter d'être soumis aux prescrits de la tutelle.Il ne faut pas perdre de vue que la motivation première des régulateurs est de nature budgétaire, et que tout forfait, aussi " innocent " soit-il au début, est rapidement alourdi par des règles administratives et des obligations liées à la pratique de plus en plus contraignantes dès qu'il apparaît que l'orthodoxie budgétaire n'est pas, ou plus, respectée : obligation d'enregistrement et d'utilisation de moyens informatiques (même si le système connaît encore de nombreux bugs), seuils d'activité organisant l'exclusion de prestataires, etc.Là est une des questions essentielles à l'exercice médical pour les dix années à venir. Chaque médecin devrait réfléchir à ce modèle d'évolution, et se positionner à cet égard. En particulier, les élections syndicales de juin seront déterminantes, les syndicats médicaux ayant sur le sujet des opinions divergentes, et promouvant soit une médecine à l'acte avec des forfaits sélectifs, soit le forfait élargi, soit le tout forfait avec quelques exceptions.