Nul ne conteste plus la nécessité d'une réforme du système des soins de santé. Le vieillissement de la population belge, et plus largement européenne, influence considérablement la structure de coût des soins, si bien qu'il n'est plus possible d'en garantir la pérennité sans une refonte fondamentale. Outre l'aspect financier, qui constitue le principal moteur des réformes entamées dans toute l'Europe, les modalités de prise en charge doivent également être adaptées aux nouveaux profils de patient, en raison de l'augmentation exponentielle des maladies chroniques, mais aussi à l'exigence légitime et croissante des patients à participer à la gestion de leur santé. Enfin, l'irruption d'innovations technologiques de rupture et la digitalisation des échanges entre acteurs et de la part des patients, doivent pouvoir soutenir une amélioration et une optimisation des soins.

La mise en réseau des institutions hospitalières et la reconfiguration du paysage des soins qui en découle devrait, en principe, permettre une organisation plus efficiente des soins de santé, en s'appuyant notamment sur les nouvelles technologies et les NTIC. En théorie, la structuration en réseau devrait également favoriser une participation étendue des acteurs. Si l'on peut donc se convaincre que la réforme réalisée pourrait produire un système plus efficient et plus en phase avec les besoins de la population, il reste qu'aujourd'hui de nombreux blocages subsistent qui tous ont trait à la gouvernance. J'en relèverai deux : d'une part, au plan macro, les freins à l'association/fusion d'hôpitaux et, d'autre part, au plan micro, les modalités de co-gouvernance et de co-responsabilité au sein même des hôpitaux.

Disparité des statuts

Parmi les freins les plus puissants à l'association ou à la fusion des hôpitaux nécessaire à une mise en réseau d'une offre de soins cohérente, la disparité des statuts est rarement relevée. Or, la disparité entre statut public et statut privé génère d'innombrables difficultés en termes juridiques, sociaux et financiers, mais aussi, de gouvernance. Pour tenter de les lever, les hôpitaux flamands ont opté pour une structure en asbl dans l'objectif de rendre la gouvernance à la fois plus participative, avec une véritable direction médicale et une véritable direction gestionnaire, plus dynamique et efficace. Je reviendrai sur cet aspect plus loin. La modification du statut des institutions flamandes a cependant privé ces hôpitaux de la garantie financière des pouvoirs publics tout en transférant sur les institutions une dette cachée : la pension pro-méritée du personnel statutaire encore actif ou parti à la retraite. Pour la seule Flandre, Zorgnet a évalué à sept milliards et demi d'euros, le montant que les hôpitaux devraient provisionner sans garantie publique. Il va de soi que la dot de la dette, constitue un frein important au mariage entre certaines institutions de soins dans les différentes régions du pays. Un arbitrage fédéral pourrait sans doute solutionner la question. Par-delà cet élément, déjà lourd, les institutions qui ont à gérer ces disparités doivent aussi composer avec les enjeux personnels et interpersonnels liés aux différences de statut entre les fonctionnaires mis à disposition des hôpitaux selon des modalités contractuelles changeantes entre le public et les hôpitaux, et les contractuels. Outre les obstacles financiers et juridiques, la gestion de la différence des statuts est particulièrement délicate lorsqu'il s'agit de créer un esprit commun, une culture de la qualité et de l'efficience communes.

Gestion par consensus

Dans cette perspective, une attention particulière doit être portée aux modalités internes et aux structures internes de gouvernance des hôpitaux. On sait le gouvernement désireux d'une plus grande implication des médecins dans la gestion de l'hôpital. Mais celle-ci ne peut réellement advenir qu'à la condition que les médecins soient co-responsables et co-gouvernants. Une des formes possibles de cette co-responsabilité et de cette co-gouvernance peut consister, on l'a vu dans la conjonction d'une direction médicale experte et d'une direction gestionnaire, chacune des parties ayant la main sur son domaine et négociant avec l'autre. Sur ce point, il est intéressant de rappeler le modèle proposé par l'Absym, qui vise une gestion par consensus tant opérationnelle que stratégique, entre le conseil médical et les gestionnaires hospitaliers.

Cela pose toutefois la question en amont des structures susceptibles de trancher les conflits éventuels. De ce point de vue, on peut songer à un Conseil d'administration avec plusieurs médecins sur ses bancs et au-delà de cela une extension de l'Assemblée générale qui soit suffisamment large et représentative des forces en jeux -et qui sont les financeurs - de l'hôpital que pour être un interlocuteur et un contrôle de poids du Conseil d'administration. Ce dernier, comme pouvoir organisateur de l'hôpital, devrait représenter la dynamique entrepreneuriale qui l'anime - y inclure donc une importante part médicale voire majoritaire, et une part d'indépendants experts qui sont d'éventuels représentants des pouvoirs organisateurs, en l'occurrence des représentants mandatés par les élus ou les assureurs, et cela afin de garantir aussi bien le déploiement optimal de l'institution hospitalière que la réponse effective aux besoins de santé de la population. Cette part relève de la responsabilisation des membres du conseil dans la mission qu'ils ont, d'offrir des soins de qualité et non pas de répondre à d'autres objectifs, dans le chef des médecins et des non-médecins, et dont une grande partie relève de conflits d'intérêts à peine dissimulés. La présence des représentants de la population, au travers des experts tels que décrits ci-dessus, est aussi une garantie et un gage de confiance et de responsabilisation envers la population géographiquement concernée.

Au-delà du Conseil d'administration, dont le nombre de membres est par définition volontairement limité, l'élargissement de l'Assemblée générale serait aussi une prolongation de cette représentativité dans sa diversité, qui peut tenir compte plus finement de l'équilibre nécessaire en fonction de la situation de chaque institution et des rapports de force qu'elle vit.

In fine, la mise en réseau des institutions de soins suppose et implique non seulement qu'on lève les freins à une culture collaborative commune (qu'ils siègent dans les disparités ou le fardeau des dettes héritées ou transférées), mais aussi qu'on se dote de structures de gouvernance où la co-responsabilité est le leitmotiv de chaque acteur pour assurer la mission des hôpitaux, qui se dessine de plus en plus en réseau, et surtout en dehors des murs des hôpitaux, au travers d'une collaboration plus grande avec la première ligne. Management et gouvernance, à ce niveau de responsabilité et avec de tels enjeux ne peuvent plus se concevoir sans une formation riche et complète, semi-garante du leadership nécessaire et des compétences requises. Finalement, et cela est le point fondamental : il n'est plus possible, et le contraire serait une ineptie, de continuer sans avoir des personnes avec les compétences requises à tous les niveaux de la gouvernance de nos institutions de soins.

Dr Gilbert Bejjani

Nul ne conteste plus la nécessité d'une réforme du système des soins de santé. Le vieillissement de la population belge, et plus largement européenne, influence considérablement la structure de coût des soins, si bien qu'il n'est plus possible d'en garantir la pérennité sans une refonte fondamentale. Outre l'aspect financier, qui constitue le principal moteur des réformes entamées dans toute l'Europe, les modalités de prise en charge doivent également être adaptées aux nouveaux profils de patient, en raison de l'augmentation exponentielle des maladies chroniques, mais aussi à l'exigence légitime et croissante des patients à participer à la gestion de leur santé. Enfin, l'irruption d'innovations technologiques de rupture et la digitalisation des échanges entre acteurs et de la part des patients, doivent pouvoir soutenir une amélioration et une optimisation des soins.La mise en réseau des institutions hospitalières et la reconfiguration du paysage des soins qui en découle devrait, en principe, permettre une organisation plus efficiente des soins de santé, en s'appuyant notamment sur les nouvelles technologies et les NTIC. En théorie, la structuration en réseau devrait également favoriser une participation étendue des acteurs. Si l'on peut donc se convaincre que la réforme réalisée pourrait produire un système plus efficient et plus en phase avec les besoins de la population, il reste qu'aujourd'hui de nombreux blocages subsistent qui tous ont trait à la gouvernance. J'en relèverai deux : d'une part, au plan macro, les freins à l'association/fusion d'hôpitaux et, d'autre part, au plan micro, les modalités de co-gouvernance et de co-responsabilité au sein même des hôpitaux.Parmi les freins les plus puissants à l'association ou à la fusion des hôpitaux nécessaire à une mise en réseau d'une offre de soins cohérente, la disparité des statuts est rarement relevée. Or, la disparité entre statut public et statut privé génère d'innombrables difficultés en termes juridiques, sociaux et financiers, mais aussi, de gouvernance. Pour tenter de les lever, les hôpitaux flamands ont opté pour une structure en asbl dans l'objectif de rendre la gouvernance à la fois plus participative, avec une véritable direction médicale et une véritable direction gestionnaire, plus dynamique et efficace. Je reviendrai sur cet aspect plus loin. La modification du statut des institutions flamandes a cependant privé ces hôpitaux de la garantie financière des pouvoirs publics tout en transférant sur les institutions une dette cachée : la pension pro-méritée du personnel statutaire encore actif ou parti à la retraite. Pour la seule Flandre, Zorgnet a évalué à sept milliards et demi d'euros, le montant que les hôpitaux devraient provisionner sans garantie publique. Il va de soi que la dot de la dette, constitue un frein important au mariage entre certaines institutions de soins dans les différentes régions du pays. Un arbitrage fédéral pourrait sans doute solutionner la question. Par-delà cet élément, déjà lourd, les institutions qui ont à gérer ces disparités doivent aussi composer avec les enjeux personnels et interpersonnels liés aux différences de statut entre les fonctionnaires mis à disposition des hôpitaux selon des modalités contractuelles changeantes entre le public et les hôpitaux, et les contractuels. Outre les obstacles financiers et juridiques, la gestion de la différence des statuts est particulièrement délicate lorsqu'il s'agit de créer un esprit commun, une culture de la qualité et de l'efficience communes.Dans cette perspective, une attention particulière doit être portée aux modalités internes et aux structures internes de gouvernance des hôpitaux. On sait le gouvernement désireux d'une plus grande implication des médecins dans la gestion de l'hôpital. Mais celle-ci ne peut réellement advenir qu'à la condition que les médecins soient co-responsables et co-gouvernants. Une des formes possibles de cette co-responsabilité et de cette co-gouvernance peut consister, on l'a vu dans la conjonction d'une direction médicale experte et d'une direction gestionnaire, chacune des parties ayant la main sur son domaine et négociant avec l'autre. Sur ce point, il est intéressant de rappeler le modèle proposé par l'Absym, qui vise une gestion par consensus tant opérationnelle que stratégique, entre le conseil médical et les gestionnaires hospitaliers.Cela pose toutefois la question en amont des structures susceptibles de trancher les conflits éventuels. De ce point de vue, on peut songer à un Conseil d'administration avec plusieurs médecins sur ses bancs et au-delà de cela une extension de l'Assemblée générale qui soit suffisamment large et représentative des forces en jeux -et qui sont les financeurs - de l'hôpital que pour être un interlocuteur et un contrôle de poids du Conseil d'administration. Ce dernier, comme pouvoir organisateur de l'hôpital, devrait représenter la dynamique entrepreneuriale qui l'anime - y inclure donc une importante part médicale voire majoritaire, et une part d'indépendants experts qui sont d'éventuels représentants des pouvoirs organisateurs, en l'occurrence des représentants mandatés par les élus ou les assureurs, et cela afin de garantir aussi bien le déploiement optimal de l'institution hospitalière que la réponse effective aux besoins de santé de la population. Cette part relève de la responsabilisation des membres du conseil dans la mission qu'ils ont, d'offrir des soins de qualité et non pas de répondre à d'autres objectifs, dans le chef des médecins et des non-médecins, et dont une grande partie relève de conflits d'intérêts à peine dissimulés. La présence des représentants de la population, au travers des experts tels que décrits ci-dessus, est aussi une garantie et un gage de confiance et de responsabilisation envers la population géographiquement concernée.Au-delà du Conseil d'administration, dont le nombre de membres est par définition volontairement limité, l'élargissement de l'Assemblée générale serait aussi une prolongation de cette représentativité dans sa diversité, qui peut tenir compte plus finement de l'équilibre nécessaire en fonction de la situation de chaque institution et des rapports de force qu'elle vit.In fine, la mise en réseau des institutions de soins suppose et implique non seulement qu'on lève les freins à une culture collaborative commune (qu'ils siègent dans les disparités ou le fardeau des dettes héritées ou transférées), mais aussi qu'on se dote de structures de gouvernance où la co-responsabilité est le leitmotiv de chaque acteur pour assurer la mission des hôpitaux, qui se dessine de plus en plus en réseau, et surtout en dehors des murs des hôpitaux, au travers d'une collaboration plus grande avec la première ligne. Management et gouvernance, à ce niveau de responsabilité et avec de tels enjeux ne peuvent plus se concevoir sans une formation riche et complète, semi-garante du leadership nécessaire et des compétences requises. Finalement, et cela est le point fondamental : il n'est plus possible, et le contraire serait une ineptie, de continuer sans avoir des personnes avec les compétences requises à tous les niveaux de la gouvernance de nos institutions de soins.Dr Gilbert Bejjani