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Le journal du Médecin : Pourquoi avez-vous choisi la spécialité d'anesthésiste-réanimateur ?Dr Langlois : J'ai toujours voulu travailler dans le secours. Entre pompier, secouriste de montagne, médecin, c'est la même motivation. En même temps, la médecine m'intéressait... Soigner les patients sur le bord de la route... Ensuite, j'ai quand même hésité entre cardiologie et anesthésie-réanimation. A l'époque, ceux qui géraient les urgences et les SAMU étaient souvent des anesthésistes réanimateurs...-Depuis quand êtes-vous au RAID ? Et qu'est-ce qui vous y a mené ?-J'y suis rentré il y a dix ans. J'avais 37 ans. C'est le fruit d'une rencontre. On est plutôt venu me chercher. Pour moi, cela conjugue le côté humain de la médecine et le côté sportif. Mais je devais d'abord demander l'accord de ma femme. J'ai eu besoin de quelques mois pour réfléchir. C'est une sacrée décision !-Vous soignez les policiers du RAID, les victimes ou les terroristes ?-Les trois ! On ne s'interdit pas de soigner les terroristes mais ils étaient tous décédés. Les forcenés en revanche, lors de prises d'otage, il nous arrive régulièrement de devoir les soigner.-Dans quel ordre ?-On a mis en place des principes pour les médecins qui couvrent des zones interdites (comme le Bataclan, voir plus loin, ndlr). Nous avons des priorités médicales. Bien sûr, à blessure de gravité égale, entre le forcené et le policier du RAID, on soigne prioritairement ce dernier. Mais on essaie de soigner les deux. Si le forcené, par contre, a une blessure grave et le policier est légèrement atteint, le forcené sera traité d'abord. Nous sommes avant tout des médecins. Notre raison d'être, c'est la médecine. Même si les policiers sont nos amis, on soigne tout le monde.-Vous êtes aidé par des infirmiers urgentistes, des secouristes ?-Je suis généralement seul. Je suis aidé par les policiers formés à la gestion des blessures par balle.-En opération, vous êtes situé où ? En retrait ou dans le feu de l'action ?-On est le plus près des policiers pour leur donner confiance et le plus éloigné possible pour n'être pas blessé inutilement. Ce sont des choses qu'on répète à l'entraînement. Bien sûr, on n'est pas le premier avec le bouclier devant la porte. Mais on est dans la même pièce. On progresse avec eux dans un centre commercial, par exemple. On est très près du danger. Mais le but est de rester vivant. Pas de sacrifier le médecin.-Vous avez un entraînement comparable aux policiers ?-Oui. Nous avons à peu près les mêmes entraînements physiques pour deux raisons : on en a besoin opérationnellement. Deux : c'est le meilleur moyen de créer la cohésion entre nous. C'est indispensable pour ces deux raisons-là. -En 10 ans, à quelles opérations "célèbres" avez-vous participé ?-J'ai participé à l'assaut sur Mohammed Merah à Toulouse, la prise d'otage de l'hyper-casher et bien sûr, le Bataclan... Ensuite, l'assaut à Saint-Denis...-Quelle est la spécificité d'un médecin du RAID par rapport à un médecin "ordinaire"?-En plus d'être de "bons" médecins, et en plus de poser les gestes de secouriste (faire une intubation dans des conditions très difficiles, exsuffler un thorax), nous sommes organisés pour extraire et évacuer les blessés et les victimes. Nous avons donc avant tout un rôle de manager qui analyse la situation, fait le tri des blessés et prend des décisions, ce que le "simple" secouriste ne sait pas faire. C'est cela qui est unique. Et lorsqu'on engage un médecin au RAID, on vérifie, outre les qualités de médecin, que le candidat est apte à cela. Car mettre un garrot, tous les policiers savent le faire...-Venons-en au Bataclan, on vous a reproché d'être arrivés deux heures en retard...-Nous sommes arrivés une bonne heure après, en fait...-Quelle info aviez-vous précisément ? On vous a briefés ?-Rien de bien précis : prise d'otages avec plusieurs terroristes, plus d'autres attaques terroristes. C'était très flou. Et on est partis de la caserne vers 22 h 20...-C'est une situation inédite par sa complexité et par son horreur ?-C'est unique et exceptionnel ! Mais nous sommes formés à gérer l'imprévu et l'exceptionnel par définition. Ça fait même partie d'un certain goût que nous avons pour l'inconnu. Nous sommes aussi formés à accepter d'être mis en échec. On ne domine pas la crise mais on s'y adapte. On doit maîtriser nos émotions. La veille, nous avions eu un entraînement avec 4 "victimes", des mannequins en plastique. Mais ce n'est pas du tout la même chose. -Précisément, c'est l'hécatombe. Donc concernant les priorités, vous êtes confrontés à des blessés légers, lourds et des morts. Etiez-vous en nombre suffisant pour gérer les priorités ?-Encore une fois, on n'est jamais suffisamment nombreux. Nous sommes formés à gérer le chaos. Le but est de s'adapter. Nous n'aurions pas forcément été plus efficaces en étant plus nombreux. Cela aurait simplement été plus confortable. -Votre sentiment quand vous entrez dans le Bataclan ?-Peur, dégoût et colère. Mais cela passe. Ces sentiments nous aident d'ailleurs à nous surpasser. On les maîtrise de manière quasi instinctive. -Vous vous souvenez de la première personne que vous avez secourue ?-Je me souviens du premier regard. Je le décris dans mon livre. On est immédiatement devant la fosse du Bataclan. Il y a un maximum de morts. La première chose est de repérer les victimes qui peuvent bouger. Or ce soir-là justement, personne ne pouvait bouger. C'est ce que me dit ce jeune homme que j'aperçois en premier, à travers son regard : "Je ne peux pas bouger." -Que leur dites-vous, aux victimes ?-En tant qu'anesthésiste-réanimateur, ce qui m'intéresse c'est de rassurer les gens. Leur expliquer que tout ira bien. Qu'on va les prendre en charge. Leur apporter la sérénité. -Avez-vous le sentiment d'être un héros ?-Pas du tout. C'est un boulot exigeant. Très. Mais je ne me sens pas l'étoffe d'un héros.