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En 68, le mouvement étudiant a commencé par une remise en question de l'autorité des maîtres. "Cette contestation a duré pendant plusieurs années. Je me souviens d'avoir dit au Pr Lambert, qui nous reprochait de contester ses assistants, que le pouvoir absolu n'existait plus", se souvient Alain De Wever. "Il a failli me mettre à la porte, puis la situation s'est arrangée puisqu'il a proposé ma nomination, à 25 ans, en tant que directeur médical adjoint d'abord, puis titulaire du CHU Brugmann."Jeune étudiant en médecine, Alain De Wever se rend par curiosité aux assemblées libres qui se tiennent près de chez lui. " Après trois jours, lassé par ces réunions peu constructives, je demande à mon père - qui était médecin et directeur général à l'administration de l'hygiène - si on ne pouvait pas profiter de ces événements pour essayer d'être constructif. Il m'explique que les hôpitaux de la Ville de Bruxelles ont des difficultés de fonctionnement et sont en permanence en déficit et que l'ULB reste à tort associée uniquement aux hôpitaux de la ville de Bruxelles. Etant convaincu que l'ULB doit créer son propre hôpital tout en gardant des liens avec la ville, il me conseille de me battre pour créer l'hôpital académique de l'ULB. Il faut profiter du moment ", ajoute-t-il.Le jeune Alain rédige sur sa machine Olympia un tract réclamant la création d'un hôpital universitaire. "Je les distribue à tour de bras aux étudiants de la Faculté de médecine et lors d'une assemblée, à l'auditoire Janson, on me pousse à monter sur l'estrade pour expliquer le projet. C'était la première fois que je prenais la parole en public devant une telle foule. Je propose avec mes camarades de changer le conseil de la Faculté de médecine. Je suis applaudi à tout rompre. Depuis ce jour-là, je suis devenu une sorte de tribun."Dans les semaines qui suivent, les statuts de l'ULB sont modifiés sous la pression des étudiants. "Je suis élu au Conseil facultaire de réforme pour représenter les étudiants en médecine de 1er doctorat. Je me vois encore dans la grande salle facultaire (située à l'époque au boulevard Waterloo NDLR) devant une longue table recouverte d'un feutre vert, m'adresser au président de la Faculté, le Dr Jean Reuse. Je monte sur la table et lui dit : " Monsieur le président dehors, désormais la Faculté c'est nous!" Il part et on installe le Conseil facultaire de réforme constitué de jeunes professeurs, de jeunes assistants et de jeunes étudiants. Nous votons la création d'un nouvel hôpital." Quelques mois plus tard, fin 1968, Alain De Wever est nommé représentant des étudiants de la Faculté de médecine au Conseil d'administration de l'ULB. "Je demande de mettre la création d'un hôpital universitaire à l'Ordre du jour. A ma grande surprise, l'université, présidée par Maître Baunier, dit oui. " Mais comment comptez-vous financer cette construction?", m'interroge-t-il. Grâce à la loi de 1963 qui permet aux asbl et aux universités libres de demander des subsides pour construire un hôpital. Nous adressons une lettre au ministre de la Santé publique, Louis Namèche. 17 jours plus tard ( un record!), nous recevons une lettre nous annonçant que nous allions recevoir 3,8 milliards de francs belges pour bâtir le futur hôpital Erasme."Au départ, l'hôpital académique devait avoir 1.500 lits et suite au "Wallon buiten", fin 1969, les lits ont été répartis entre l'ULB (900 lits) et à la VUB (600 lits).Le modèle de gestion de l'Hôpital Erasme est le fruit de la contestation : le niveau politique n'est plus décisionnaire et c'est une institution privée qui appartient à l'ULB. " Avec Paul Foriers, recteur de l'ULB, nous avons passé des nuits à écrire les statuts de l'hôpital et des médecins. Dans les hôpitaux de la Ville de Bruxelles, les médecins avaient une Union professionnelle. Ils recueillaient les honoraires, achetaient l'équipement et puis redistribuaient une partie des honoraires à l'hôpital. Nous avons décidé de changer le système et de faire collaborer le gestionnaire et les médecins. Nous avons donc créé le Conseil de gestion où siégeaient des représentants de l'ULB (majoritaires) et des représentants du personnel (dont principalement des médecins). En 2014, lorsque je suis redevenu président de l'hôpital académique, j'ai réformé avec plusieurs experts ces statuts approuvés par le Conseil d'administration de l'ULB en proposant d'intégrer trois administrateurs indépendants dans le conseil et de réduire le nombre de membres. "A partir de mai 1968, les médecins ont commencé à s'intéresser à la gestion hospitalière. "Cela sera renforcé en 1986 par la loi Dehaene qui crée les conseils médicaux et la fonction de médecin chef. Ce mouvement revendicatif avait commencé en 1964 lors de la grande grève des médecins. André Wynen a été le premier à réclamer haut et fort un statut du médecin hospitalier. Dans les accords de la Saint-Jean, on propose de créer ce statut et une commission paritaire médecin-gestionnaire est constituée pour rédiger un statut du médecin hospitalier. Ce sera un échec. En 1967, les négociations s'arrêtent. En 1971, lorsque j'étais gestionnaire hospitalier, j'ai participé à la relance du processus", se rappelle le Pr De Wever. "Les gestionnaires ne voulaient pas d'un statut. Il a fallu que Jean-Luc Dehaene, en 1986, via un arrêté de pouvoirs spéciaux, impose le statut du médecin hospitalier, entre autres, à Caritas Catholica et la VVI qui n'en voulaient pas du tout. J'ai une grande admiration pour Dehaene qui a débloqué par sa seule volonté cette situation."